Partie 3 : Tomorrow
Chapitre 10 : Changements
J'étais en détention provisoire en
attendant le procès. Voilà quelque chose qui était loin de me plaire.
D'autant plus que la situation se résumait ainsi : j'étais accusée de
meurtre que j'avais commis il y a longtemps, et on avait profité de
l'affaire de Werner pour les ressortir du tiroir des affaires non classées
et mystérieusement liées à mon nom. Le pire étant que pour certaines...on ne
pouvait quasiment pas me faire ressortir comme innocente. Car elles étaient
toutes liées au surnaturel. Allez expliquer que Werner est mort à cause d'un
mégalomane mi-ange mi-homme voulant régner sur le monde. Allez expliquer
qu'Amanda soit morte à cause d'une entité maléfique incontrôlable. Expliquez
également qu'avec la version officieuse, elle n'est pas morte mais a réussi
à s'en sortir avec ladite entité. Expliquez que la mort de Werner n'ait été
que la fatalité irrémédiable d'une affaire de dieux en Egypte et ma
soi-disant mort.
Expliquez tout cela et vous passerez pour une folle meurtrière.
J'étais véritablement dans une situation sans sortie de secours. Mes
avocats, s'ils connaissaient l'illégalité de mes affaires, ne savaient
cependant rien sur les rumeurs étranges entourant mes expéditions, excepté
quand il fallait les réfuter à la presse. Et de fait...ils pouvaient mentir
pour me sauver, se diraient les juges lors de mon procès.
Au tribunal je ne serais qu'une folle meurtrière, et c'était peut-être vrai.
***
Penché au-dessus de l'évier, Kurtis se
frottait vigoureusement les mains pour effacer toute trace de sang de la
bataille qui avait duré plusieurs heures. Lorsque l'eau finit de laver la
souillure de ses mains, il se redressa et les essuya, évitant soigneusement
de regarder les cadavres des ex-derniers membres de la Coterie à terre.
Il tira une cigarette de sa poche et l'alluma.
-La vengeance est terminée, hein ?
Il regarda avec un air méfiant celui qui lui avait parlé.
-Oui. Maintenant, il reste les problèmes de conscience, et quelques autres
trucs. J'aimerais retrouver ma mère à présent. J'ignore ce qu'elle est
devenue après le meurtre de mon père.
Son interlocuteur haussa les épaules, sincèrement désolé.
-Je ne sais pas non plus ce qui a pu lui arriver. Ma mémoire est devenue un
trou insondable depuis la mort d'Eckhardt.
-Je ne comprends pas pourquoi tu es resté avec l'extension de la Coterie
après.
Le jeune homme le fixa, intrigué, se tenant prêt au combat même si son
compagnon l'avait aidé lors de la tuerie. La lueur de méfiance dans ses yeux
ne le quittait pas. Son interlocuteur poussa un profond soupir, les yeux
dans le vague.
-Parce que c'était avec eux que je travaillais quand je t'ai engagé parmi
mes hommes, tu te souviens ? Mes absences mystérieuses.
-Beaucoup de choses s'éclaircissent, sourit Kurtis. Mais tu es libre
maintenant.
-Plus que je ne l'ai jamais été.
Ils restèrent silencieux un moment. Kurtis laissa tomber sa cigarette dans
une flaque de sang, puis se redressa, quittant l'évier auquel il s'était
accoudé.
-Il n'y a plus personne, n'est-ce pas ? demanda-t-il.
-Non. Juste les souvenirs et de vieux objets ensorcelés.
-Oh, c'est vrai que je dois m'occuper de ça aussi.
-Si tu veux...
-Non, Marten. Je veux aller jusqu'au bout. Finir et enterrer cette histoire.
-Elle nous pourchassera jusqu'au bout.
-Peut-être.
Il y eut à nouveau un silence. Puis Kurtis demanda :
-Et toi, Marten ? Qu'est-ce que tu vas faire ?
Son compagnon haussa les épaules, incertain.
-Difficile à dire. Peut-être voir ce qu'il est advenu de tous ceux ayant été
mêlés à cette histoire. Je ne sais pas. Essayer de me faire pardonner de ce
que j'ai fait sous l'influence d'Eckhardt.
-Tu me diras ce que ça donne ?
-Entendu. On est les seuls survivants de cette affaire, après tout.
Kurtis pensa que c'était la vérité. Ils étaient les deux seuls survivants.
Dans son esprit, Lara ne comptait plus comme rescapée de cette histoire.
Mais malgré tout, il savait qu'un sentiment non défini le poussera à voir
comment elle s'en sortait désormais. Et il était certain que ledit sentiment
n'était pas de l'amour.
***
J'avais été demandée à la salle de la
prison où on pouvait parler avec quelqu'un - tant que ce n'étais pas un
avocat. Je savais parfaitement que Winston n'était pas encore en état de
venir me voir, aussi avais-je misé sur une erreur. Mais j'y étais venue tout
de même, et la vue de mon visiteur me coupa le souffle. Séparés par une
vitre, le téléphone attendait sagement que je le saisisse.
Mais j'avais envie de fuir. De partir de cette salle, d'éviter le regard dur
de mon futur interlocuteur, échapper à cette fatalité de parler avec celui
que j'avais trahi d'une certaine manière. Il me fallut un effort monumental
pour m'approcher de la vitre. Plus une bonne dose de courage pour m'asseoir.
Mais surtout, je ne l'ai pas regardé en face. J'ai saisi le téléphone, mes
yeux évitant la moindre opportunité de revoir son regard de haine.
-Comment m'avez-vous retrouvée ?
-Bonjour, Lady Croft.
La façon dont il prononça mon nom me blessa plus profondément que les
derniers jours en prison.
-Il suffisait de lire les derniers journaux, répondit-il finalement. Ça doit
vous changer de votre vie de manoir.
Je hochai la tête sans dire un mot.
-Je serais ravi de croiser la culpabilité que vous avez dans vos yeux à mon
égard.
Lentement, je levai la tête, regardant en face Kurtis. Mes entrailles se
nouèrent de manière indescriptible.
-Vous avez des ennuis, hein ?
-C'est le moins qu'on puisse dire, dis-je sans émotion particulière.
-Vous êtes accusée de quoi ?
Mes yeux se détournèrent un bref instant.
-Du meurtre de Von Croy, entre autres.
Il se rassit plus confortablement dans sa chaise, réfléchissant. La dureté
de ses yeux ne fit qu'augmenter la tension qui battait à mes tempes.
Pourquoi était-il revenu ?
-Si je témoigne en votre faveur...
-Vous le feriez ?
Il eut une grimace.
-A contrec...ur, mais ouais, sûrement que je le ferais. Y a t-il quelqu'un
d'autre pouvant vous aider dans ce procès ?
-Winston...
-Ah, l'autre vieux.
Je le fusillai du regard. Cette fois, c'était mes yeux qui exprimaient de la
haine.
-Anaya Imanu et Jean-Yves. Pour le reste, je crois que mes avocats se
débrouilleront assez facilement. Demandez-leur leur adresse, ils vous la
donneront pour les contacter. Winston est à l'hôpital.
-M'en doute, répondit-il, avec ce sourire moqueur aux lèvres.
-Kurtis ?
-Ouais.
-Merci, dis-je.
Sincèrement.
Il m'observa un bref instant, avec cette lueur si particulière dans ses
yeux, cette lueur qui disait que ça n'était qu'un jeu, cette même lueur
qu'il avait avant de se laisser tomber dans l'escalier au Louvre.
-Je veux pas de vos remerciements, lâcha-t-il. Parce qu'après, vous allez
devoir m'aider.
Je haussai les sourcils.
-A quoi ? demandai-je.
-Vos sources, vos « pass » pour aller dans des pays ou des lieux précis en
donnant une fausse information. J'ai recherché des trucs sur vous, je sais
que vous avez déjà fait ces coups-là pour aller dans des lieux de votre
choix. Après votre libération, vous me fournissez ça, et nous nous laissons
mutuellement en paix et nous ne nous revoyons jamais.
Je réfléchis un bref instant. Je ne savais pas à quoi cela allait lui
servir, mais c'était un marché honnête, et même plus qu'il ne le fallait
après ce que je lui avais fait.
-C'est d'accord. Kurtis...
-Mmh ?
-Pourquoi êtes-vous revenu ?
Il me regarda, une expression énigmatique sur le visage.
-On est les seuls survivants, non ? me rappela-t-il, d'une voix légèrement
moins froide que celle qu'il avait emprunté depuis le début de la
conversation.
Sur ce, il raccrocha le téléphone, me fit le clin d'...il qui lui était propre
et quitta la pièce. Je reposai moi aussi le combiné, songeuse sur ce qu'il
voulait avoir par moi et sur la véritable raison de son retour. Cet homme
était une énigme aussi vivante et insondable que moi. Entre ce qu'il disait
et ce qu'il pensait, il semblait y avoir un gouffre immense. Et je savais
que excepté le moment où il témoignerait au tribunal en ma faveur, je ne le
reverrai plus jamais. Même si nous étions les derniers à avoir survécu à
cette histoire. Jamais plus je ne pourrai tenter de le comprendre.
Deux mois plus tard, je fus déclarée
innocente. On me retira toutes les armes qu'ils trouvèrent dans le manoir,
on me demanda des amendes pour l'effraction des lieux que j'avais
anciennement visités et des dommages et intérêts pour les vols.
Cependant je sortis de prison, j'échappai à l'asile. J'étais innocente aux
yeux de la justice.
Mais pas aux miens.
A suivre...
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