Partie 2 : A Dream of Red Hands
Chapitre 9 : Laraless
Kurtis était parti. Cela faisait déjà
plusieurs heures. J'avais emmené Winston à l'hôpital puis j'étais rentrée au
manoir à la fin des heures de visite. Au moins, il allait s'en tirer,
c'était déjà ça de gagné.
Je savais que Kurtis était vraiment en colère. Et il le pouvait. Pendant de
nombreuses années, il avait pourchassé le faux assassin de son père. Il
s'était fait embroché par Boaz pour rien. Et moi, j'avais laissé Gabriel et
ses acolytes pour sauver Winston. Et j'avais tué Karel, j'avais privé le
jeune homme de la justice qui était son seul but connu d'elle dans la vie.
Oui, il pouvait m'en vouloir. Au point de me détester.
Quand Kurtis avait fait semblant de vouloir me tuer, je m'étais
véritablement attendue à ma mort. Car ce n'aurait été que justice. Comment
avais-je pu oublier de mentionner la véritable nature de Karel ? Kurtis
avait-il ne serait-ce que su qu'il était un Nephilim, voire même qu'il
existait ? Comment avais-je pu oublier de tout lui dire ? Les sombres
pensées et oublis des évènements devaient m'avoir bien trop perturbée.
Beaucoup trop. Je ne me souvenais plus du tout de nombre de moments de mes
aventures passées. Ce lieu aux murs et aux portes blanches dont elle se
souvenait, par exemple, où et quand l'avais-je vu ? Tout semblait si flou,
dénué de sens...Ce n'était pas normal que ma mémoire soit si occultée, sauf si
je devenais folle ou sénile avant l'âge. Ce que je refusais totalement.
J'avais nettoyé tant bien que mal ma demeure. Malgré tout, je voyais encore
le sang sur les murs et sur mes mains, et il me fallait quelques secondes
avant de réaliser qu'il n'y en avait plus. Le souvenir de ce liquide rouge
m'obsédait.
Ce n'est que vers minuit que Kurtis rentra enfin, à mon grand soulagement.
J'avais eu peur qu'il ne commette quelque acte irrémédiable. Comme attaquer
l'extension de la Coterie seul, par exemple.
Aussitôt rentré, il monta dans sa chambre pour prendre son sac. Restée dans
le salon, je l'observai avec inquiétude lorsqu'il redescendit. Il paraissait
toujours coléreux, déterminé.
-Kurtis, risquai-je alors qu'il passait devant moi sans me regarder.
Il tendit la main vers moi en objection, avant de se retourner, le regard
flamboyant.
-Ne me dites pas que vous êtes désolée. Je me fous de vos excuses !
Son ton me fit reculer, tant il était méprisant. Il secoua la tête.
-Vous êtes même pas capable de sacrifier une vie pour d'autres.
-Trop de sang avait déjà coulé, protestai-je.
-Vous avez pas compris ! Mon père y est passé et moi, j'ai failli y rester
bien des fois ! Et vous, vous négligez de me dire la vérité, vous mentez !
J'aurais dû vous laisser au Sanatorium, Eckhardt vous aurait tuée et tant
mieux !
-Mon mentor est mort ! protestai-je. J'y ai perdu, moi aussi ! Mais on ne
peut pas...
-Vous avez laissé cette foutue Coterie en vie pour le vieux !
-Winston est...
-Je me fous de Winston ! c'était une chance, vous comprenez ? Une chance
d'en finir, et vous l'avez laissée passer avec vos mensonges et votre pitié
!
Le ton montait, et les deux alliés que nous étions censés être devenaient
ennemis. Indifférents.
-Et vous, répliquai-je à mon tour, vous vous êtes cru malin avec votre bluff
à la Burckle ? J'ai cru que vous alliez nous tuer tous les deux ! Si vous
l'aviez fait, vous auriez été pire que la Coterie !
Il avança d'un pas, rageur.
-Ne me traitez pas comme ça ! C'est vous qui l'êtes ! Une lâche, une
pleurnicharde qui ne veut pas avoir de sang sur la conscience ! Vous croyez
pas que je vous aie observée durant ces derniers jours ? A regarder vos
mains comme si elles étaient meurtrières, à éviter ma présence et mes
questions ? Une traître et une menteuse ! Comment ai-je pu croire en vous ?
-Vous n'avez pas de conscience ?
Il me regarda, furieux.
-Si. Mais je rends justice à ceux qui sont tombés avant. Vous, vous n'en
avez pas le courage. Vous fuyez ce qu'il faut sacrifier pour vaincre. Vous
ne gagnerez pas ainsi. Une bataille a toujours des pertes. Vous avez eu
votre chance, et vous ne l'avez pas saisie.
Il se détourna. Je le regardai s'éloigner, méprisante.
-Gabriel avait raison. Vous me rendez folle.
Il s'arrêta, mais ne se retourna pas.
-Vous l'êtes déjà. Je m'en vais ! Je vais détruire la Coterie, seul. Sans
vous, qui avez failli. Gabriel, Luther Rouzic, Marten Gunderson et
compagnie...je m'en occupe. Vous n'êtes pas à la hauteur !
Il claqua la porte d'entrée. Le son résonna longtemps dans ma tête.
Ce fut ainsi que je vis Kurtis pour la dernière fois, et c'est de cette
manière qu'il sortit de ma vie. Car il avait raison : je n'étais pas à la
hauteur. En tout cas, je ne l'étais plus. Mon inflexibilité m'avait quittée
depuis la mort de Karel, remplacée par de nombreux doutes. C'était la vérité
et rien d'autre. Et oui, j'étais folle...si je ne l'étais pas, mes cauchemars
et mon obsession du sang le prouvaient. Et n'étais-je pas folle par le
simple fait d'avoir laissé Gabriel et Kurtis sans les avoir retenus ?
Quelque chose n'allait vraiment pas chez moi.
Deux jours plus tard, Winston était
toujours à l'hôpital. Nous avions eu de longues conversations et je lui
avais raconté ce qui s'était passé depuis sa blessure.
Quelques heures après mon retour au manoir, on sonna à la porte. J'ouvris
sans réellement me méfier, Kurtis s'occupant de la Coterie, je ne craignais
pas grand-chose de ce côté-là. Et c'est bien connu, les ennemis ne sonnent
pas à la porte. Sauf que les ennemis peuvent avoir différentes apparences.
Depuis le début, j'aurais dû me douter que ce moment arriverait. Mais le
choc ne fut pas moins grand. Une voiture de police pénitentiaire attendait
devant ma demeure. La raison n'en était que trop évidente. Un policier me
regardait, déclarant d'un ton neutre :
-Lady Croft ?
Je hochai la tête, pétrifiée mais calme.
-Vous êtes priée de nous suivre. Vous êtes accusée de cambriolages,
effractions de propriétés privées, possession d'armes sans permis.
Il ajouta, me fixant :
-Vous êtes également accusée du meurtre de Werner Von Croy...
Je le savais.
-Ainsi que celui d'Amanda Evert, Jacqueline Natla, Louis Bouchard, Mathias
Vasiley et peut-être de quelques autres.
Figée, je compris que tout était loin d'être fini. Mais pourquoi
ressortaient-ils le nom de tant d'anciens ? Amanda, Natla...Je ne comprenais
pas, non, vraiment pas. Je relevai la tête, essayant d'effacer le choc de
ces accusations de mon visage.
Quelques minutes plus tard, j'étais en toute pour la prison, en attente d'un
procès qui serait sans aucun doute mémorable. Et qui déterrerait de nombreux
cadavres, je n'en doutais pas.
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