Partie 1 : The Angel of Darkness
Chapitre 4 : Sauvegardes
Lorsque je fus enfin autorisée à le voir,
il était difficile à Kurtis de rester éveillé bien longtemps. Lors de ma
première visite, il m'avait juste dit quelques mots. Un remerciement,
évidemment, mais également :
-Y a quelque chose que vous devez savoir, Lara. Eckhardt...
-Mort, ai-je dit.
-Non, c'est pas ça. Avec Karel...
-Tué lui aussi.
-Si vous arrêtiez de m'interrompre ?
Je me levai, excédée par l'agressivité de son ton. Je lui tournai le dos.
Je revoyais encore la scène de l'assassinat de Werner, de Bouchard, de Boaz
et du journaliste praguois, ainsi que d'Eckhardt et Karel. Trop de sang
avait coulé par ma faute. Y compris le mien et celui de Kurtis. Je restai
silencieuse un moment, regardant par la fenêtre de la chambre.
-C'est fini, lâchai-je. Il n'y a plus rien à dire. Sans gourou, une secte
n'est plus rien.
J'entendis Kurtis soupirer. Je sentais qu'il allait bientôt dormir à
nouveau.
-Revenez me voir, dit-il simplement.
Pinçant les lèvres, je me détournai et passai devant son lit sans le
regarder, quittant l'hôpital. Il avait été transporté en Angleterre à ma
demande, dès que son état s'était assez stabilisé pour supporter le voyage.
Je rentrai chez moi.
Je passai quelques heures à examiner à
nouveau le linceul. L'attirance que j'éprouvais au moment de sa découverte,
qui avait décrue, était revenue. Mais comme la première fois, je ne pus plus
supporter de l'étudier, à cause de son parfum et de son contact, et je le
rangeai à nouveau dans la chambre des artefacts.
Dans ma chambre, ne permettant à personne - même Winston - d'entrer, je
réfléchissais aux évènements des derniers jours. Mes souvenirs restaient
vagues, dispersés. Manquants. Un trou noir avant la découverte du cadavre de
Bouchard, un autre lors de l'assassinat du journaliste pragois, de Boaz...même
lors du meurtre de Werner et de mes ennemis. Sans doute l'horreur de ces
jours-ci voulait m'être cachée par mon inconscient. Même si ce n'était pas
dans ma nature de refuser la réalité.
Mes réflexions et souvenirs commençant à me hanter plus qu'il ne fallait, je
décidai de m'occuper en cherchant un quelconque indice dans ma bibliothèque
sur le linceul.
Et je ne trouvai rien, une fois de plus. Je le remis donc aux oubliettes.
Le lendemain, je rendais visite à Kurtis. Il paraissait mieux, guérissant de
sa blessure infligée par Boaz, que nous avions expliqué par le fait qu'il
avait été embroché par l'épée d'un cinglé quelconque ; cela avait suffi
comme alibi. Et il était sauvé. C'était tout ce qui importait, avec remettre
l'affaire du Monstrum là où était sa place : parmi les souvenirs qu'il ne
fallait pas réveiller.
Assise sur une chaise à côté de son lit, j'attendais qu'il se réveille. Il
était presque six heures quand il revint à lui. Il cligna des yeux, avant de
tourner la tête vers moi.
-Combien de temps...
-Ça fait deux heures que je suis là, répondis-je.
-Non, contra-t-il.
Il se redressa légèrement, tentant de s'asseoir, ce qu'il ne devait de
préférence pas faire. Je le forçai à rester allongé.
Il s'écoula un silence, avant qu'il ne parle à nouveau.
-Depuis combien de temps suis-je là ? demanda-t-il.
-Une semaine, fis-je.
Il ferma les yeux en soupirant. Un air de lassitude se répandit sur son
visage. Les paupières toujours closes, il parla à nouveau.
-Une semaine...Ils ont eu l'temps, sans aucun doute...
-De quoi parlez-vous ?
Il me regarda, longuement, profondément.
-Vous disiez que tout était fini. Rien n'était fini. Vous croyez qu'Eckhardt
avait pas prévu sa mort ? Nous n'avons vu que la plupart des membres de la
Coterie.
Je baissai la tête, les coudes sur les genoux et mes mains soutenant mon
menton. Une pensée, légère, me traversa : Eckhardt ? Karel avait été le
manipulateur. Kurtis était-il seulement au courant de son existence déchue ?
Peu importait désormais. Mais peut-être que ce n'était pas le Monstrum qui
avait tué le père du jeune homme.
-Il y en a d'autres ? hésitai-je.
-Oui. Résidant en Turquie aux dernières nouvelles.
Je soupirai. Les fantômes du passé allaient à nouveau me hanter.
-Est-il possible qu'il y ait d'autres surprises au rendez-vous ?
demandai-je, ma voix entrecoupée de haine.
Il hocha la tête.
-Les propriétés conservées des Nephilim. Leurs objets personnels, gardés par
ces derniers membres de la Coterie...ils peuvent représenter un danger.
Mental, envers ceux qui ont combattu les Nephilim.
Je me redressai, m'appuyant au dossier de la chaise. Rien n'était fini. Du
moins, pas encore. Il faudrait attendre que Kurtis soit assez rétabli pour
se battre. Je devrais me renseigner sur les membres survivants, afin de voir
quelle était leur situation...Et vite. L'angoisse me prit à nouveau.
J'espérais qu'il n'y aurait pas d'autres morts. Trop avait déjà payé en
ayant juste été mêlé à moi ou à cette histoire. Le fantôme de Werner, son
cadavre dans l'appartement, le signe de Sanglyphe au mur, tout cela repassa
devant mes yeux éveillés. Et je croyais sentir à nouveau sur mes mains le
contact du sang dégoulinant, la souillure d'un meurtre vengé.
Kurtis était sauvé ; et la Coterie aussi. Et le salut pour empêcher une
domination du monde par un Ordre, dépendait encore de nous.
Dans mon esprit, je me souvins de l'éclair déchirant le ciel alors que je
pénétrais à nouveau dans la demeure de Werner, après son décès. Le signe
rouge était alors toujours inscrit au mur...
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