Chapitre 13
La main monstrueuse s'agitait, semblant
vouloir s'accrocher à quelque chose. Les énormes mouvements d'air qu'elle
provoquait soulevaient la poussière et charriaient une odeur de souffre de
plus en plus forte. Devant cette vision d'horreur, Banks lui-même restait
muet de terreur. Soudain, la main disparut dans le portail. La cascade de
lave s'agita de plus belle. Les méandres prirent alors la forme de visages
humains hurlants et agonisants, et chaque élève de Scholomance pouvait se
reconnaître dans ses formes torturées. Indy en eut la nausée, et se prit à
être soulagé que les jeunes femmes, Lara comprise, étaient trop droguées
pour se rendre compte. La cascade se distordait, et des langues de flamme
jaillissaient vers les élèves, sans les atteindre, du moins physiquement.
Reprenant ses esprits et le contrôle de ses nerfs, Banks leva alors les bras
au ciel.
- Fgeut geleb edi fo yartuka ! hurla-t-il, tentant de couvrir les
rugissements du portail. FGEUT GELEB EDI FO YARTUKA !!!
Les langues de feu redoublèrent de violence, s'agitant de façon erratique.
Au milieu du vacarme général, un grondement se fit entendre, d'abord
lointain, semblant venir du fond du portail, puis de plus en plus fort,
comme il se rapprochait. Indy avait l'impression que quelque chose leur
fonçait dessus, et il n'était pas le seul à le penser. La nervosité et la
peur augmentèrent encore d'un cran. Soudain, le grondement s'interrompit,
ainsi que la danse infernale du portail. La cascade de lave s'écoula
normalement. La tension des élèves retomba aussitôt. Indy regarda Alex et le
vit tout aussi soulagé.
- Sympa, on se croirait à Disneyland... murmura Alex.
Indy lui répondit par un pâle sourire. Son ami employait son ironie
habituelle, mais le coeur n'y était pas du tout : Alex était terrifié. Et
comme il avait raison de l'être ! Indy reporta son regard sur le portail.
Seul le clapotis boueux de la cascade de lave se faisait entendre dans la
caverne. Ce relatif silence, morbide, augmentait encore la nervosité et la
peur des participants, d'autant plus qu'il était consécutif aux paroles
agressives de Banks, dans un langage inconnu. Indy se surprit à tenir son
pupitre entre ses mains, se crispant à s'en faire mal aux doigts. Soudain,
le grondement reprit, énorme de puissance, mais assortit d'un rugissement
qui prit rapidement la forme de mots.
- YARTUKA GELEB.
Une voix rauque, puissante émergeait du portail, audible au milieu du
grondement général. Indy se convainquit que la voix du Diable venait bien du
portail, afin de lui donner une réalité assez tangible pour son esprit. Car,
sans contestation possible, la voix venait en fait de partout à la fois,
résonnant dans l'esprit et le coeur de chacun des participants. Ils en eurent
la nausée. Indy lutta au prix d'efforts sur lui-même. Alex faisait de même,
avec succès.
- Geui azuf dorio di ! reprit soudain la voix inhumaine.
Cette fois, Banks prit une profonde inspiration, avant de répondre, dans le
même langage guttural et ignoble.
- Di pod azul vifar, fit-il, avec une note appuyée de déférence dans la
voix.
Soudain, Henry Jones quitta le pupitre et s'avança vers le portail. Le
milliardaire le suivit des yeux, le regard noir.
- Que fais-tu, vieux fou ! hurla-t-il.
- Vous faites beaucoup trop d'erreurs et d'approximations, jeune homme,
répondit le vieux professeur sans se retourner. Et c'est dangereux, quand on
fait face à Satan...
- Mensonges ! J'ai passé dix ans à préparer l'Ecole ! cria Banks, furieux.
Je n'ai pas fait d'erreurs !
Henry l'ignora, concentré face au portail. Touché dans son orgueil, fou de
rage, le milliardaire australien dégaina soudain une arme.
- Ecartez-vous de ce portail, professeur Jones, et retournez à votre
pupitre, dit-il froidement. S'il vous plait... rajouta-t-il en armant son
revolver.
- Vous ne faites que confirmer ce que je viens de dire, jeune homme,
répondit Henry, avec une indulgence teintée d'ironie. Taisez-vous,
maintenant.
Estomaqué par l'inconscience de Jones Senior, Banks ne réagit pas.
- Ecoute-moi, Ange Déchu ! cria soudain Henry vers le portail. Ecoute mes
paroles ! Ta venue en ces lieux est inutile. Retourne dans ton monde!
Le grondement devint soudain un hurlement de fureur, et la cascade de lave
s'agita soudain. Les langues de flamme réapparurent soudain et enveloppèrent
Henry, le faisant disparaître à la vue des autres.
- Père !!! hurla Indy.
- Allez, Junior ! cria Alex. Faut le sortir de là !
- Non, attends !
Indy retint son ami, qui allait se précipiter. L'enveloppe de flammes
s'était retirée, laissant Henry intact, sans blessure apparente, toujours
face au portail.
- Père ? demanda Indy. Vous allez bien ?
D'un geste péremptoire, Henry fit taire son fils. Quelques secondes plus
tard, de nouvelles flammes jaillirent de la cascade et se jetèrent sur le
vieux professeur, sans jamais l'atteindre. Une fois très proches, elles se
retiraient dans un sifflement qui rappelait de la colère et de la
frustration.
- Comprends-Tu, Ange des Ténèbres ? cria Henry. Tu ne peux rien contre moi,
ni contre mon fils. Ta classe n'est plus complète, car elle ne contient plus
que huit élèves valables !
Le rugissement se fit plus puissant, les flammes plus violentes et plus
hautes : le Diable semblait exprimer toute sa rage. Sans attendre, Henry
sortit une petite lame de rasoir de sa poche et s'entailla immédiatement la
paume de la main. Tendant le bras tout en serrant le poing, il fit tomber
son sang par terre, devant le portail.
- Regarde, Ange Déchu ! cria-t-il, poussant son avantage. Regarde bien !
Contemple ton échec ! Car dans mon sang coule la puissance de notre Seigneur
Jésus Christ !
De sa main ensanglantée, il se signa. Dans un dernier grondement de
frustration, le portail explosa, déchaînant une tempête de feu aussi courte
que violente. Puis la cascade de lave disparut, plongeant l'immense caverne
dans le silence.
***
Ils restèrent tous un moment interdits,
sans réaction. Comme souvent, ce fut Alex qui rompit le silence.
- Dis donc, Banks, on dirait que t'as un peu perdu le contrôle, non ?
Avant que le milliardaire ne puisse répondre, il entendit le craquement
sinistre d'un magnum que l'on arme. Se retournant lentement, il fit face à
la gueule du revolver que pointait sur son front une Lara Croft au regard
dur et froid. Non loin derrière elle gisait Ling, visiblement inconsciente.
- Ah oui... ironisa Alex, appréciateur. T'as vraiment perdu le contrôle de la
situation !
- Comment est-ce possible ? fit Banks à l'attention de Lara.
- Au même moment, et pour les mêmes raisons qui ont fait que tu te retrouves
debout, répondit-elle. On a beaucoup de choses à se dire, non?
- Ce n'est pas le moment, jeune fille ! intervint Henry, qui venait de
quitter sa position face au portail.
- Sauf votre respect, professeur, mêlez-vous de ce qui vous regarde !
Henry regarda sa main cicatriser à une vitesse surnaturelle. Puis il sortit
son petit mouchoir de sa poche et déchaussa ses lunettes. Il se mit à les
essuyer, lentement, sans un mot, comme il le faisait toujours. Puis il les
remit sur son nez.
- Jeune fille, vous ne pouvez pas tuer Stevenson Banks, reprit-il.
Lara en fut abasourdie.
- Donnez-moi une seule bonne raison, Professeur.
- Vous n'êtes pas une meurtrière, répondit-il.
- Ah, ça, faut reconnaître que c'est une bonne raison ! intervint Alex.
- West, ne commence pas ! cria Lara. Tu ne sais pas ce que j'ai subi à cause
de lui, tu ne sais pas que j'ai...
Elle ne termina pas sa phrase. Comme les autres, elle se sentit soudain
faible et nauséeuse, à la limite de l'évanouissement. Son magnum sembla
soudain peser des tonnes : elle le laissa tomber avec fracas. Indy et Alex
avaient grandement pali. Seuls Banks et Henry semblaient n'être que peu
affectés, bien que les traits du vieux professeur semblaient s'être encore
plus creusés. La raison, Lara la comprit immédiatement : ils s'attendaient à
ce qui allait suivre. L'atmosphère pesante et malsaine qui les rendait
nauséeux n'augurait rien de bon. A son malaise s'ajouta rapidement une
terreur sourde. Reprenant le contrôle de ses nerfs - et de son estomac - la
jeune femme tenta de ramasser son arme. En vain. Son regard accrocha alors
une différence notable dans le tableau vivant qui se déroulait sur ses yeux
: devant le portail se tenait un petit garçon. Agé d'environ huit ans, il
portait une sorte de robe de bure rouge et noire, qui laissait ses bras et
ses jambes à découvert. Il était pieds nus. Lentement, il descendit la volée
de marche menant du portail au sol de la caverne. Comme il s'approchait,
tous purent le détailler. Il avait les cheveux d'un noir intense. Les traits
fins de son visage frôlaient la perfection. Lara aurait facilement décrété
voir là le plus bel enfant qu'elle aurait pu voir si ce n'était un détail
troublant : l'extrême fixité de son visage. Ne trahissant aucune émotion,
l'enfant continua d'approcher du demi-cercle de pupitres. C'est alors que,
comme les autres, Lara constata avec horreur que le trouble inspiré par
l'enfant venait principalement de son regard. Plus précisément de ses yeux,
dont l'iris noir se fondait presque avec la prunelle rouge sang. L'effet
était terrifiant, surtout sur un petit garçon aussi jeune et aussi beau.
Après un temps d'hésitation, Banks quitta son pupitre et alla s'agenouiller
devant l'enfant, la tête humblement baissée.
- Bienvenue à Vous, mon Seigneur et Maître, fit-il sans lever les yeux.
- Relève-toi, fidèle esclave.
L'enfant venait de répondre avec la voix surpuissante et caverneuse qu'ils
avaient tous entendu auparavant. La voix du Diable lui-même. Banks retourna
humblement à son pupitre. Le garçon passa son regard diabolique sur chaque
élève, et s'arrêta sur Henry Jones. Il commença à bouger et s'approcha
lentement du vieux professeur. Celui-ci se signa aussitôt.
- Crois-tu être protégé de moi, humain ? demanda le garçon de sa voix
d'adulte.
Henry ne répondit pas et continua à se signer frénétiquement.
- Crois-tu que ton Dieu puisse intervenir, ici ?
Henry essuya le sang qui lui coulait du nez d'un revers de main, sans cesser
ses signes de croix.
- Crois-tu qu'avoir bu au Graal va te sauver de ma colère ?
Henry se laissa alors tomber à genoux, mains jointes, et commença à
marmonner des prières. La fureur de Satan s'intensifia, faisant trembler les
murs de la caverne, mais le professeur ne se laissa pas distraire et
continua de prier. Tout redevint calme, et le petit garçon se détourna du
vieil homme.
- Ca craint, murmura Alex à l'oreille d'Indy.
- Oui, je sais.
- Non, mais j'ai envie de faire sauter le Diable sur mes genoux.
Indy haussa les épaules.
- Son but est de créer un malaise entre son apparence physique et sa vraie
nature.
- Ben c'est réussi...
Le garçon venait de se mettre face aux deux amis. Alex tenta de le regarder
mais échoua, ne pouvant soutenir ses yeux rougeoyants.
- Salut ! fit-il d'un air détaché.
Comme par magie, un revolver apparut dans la main de l'enfant. Sans un mot,
il le tendit à Alex. Il le prit, presque machinalement, comme poussé à le
faire.
- Alex, ne...
Indy tenta d'intervenir, de prévenir son ami, mais sa voix mourut dans sa
gorge. Soudain las, il ne pouvait même plus parler.
- Tue-le ! ordonna l'enfant en désignant Banks.
Alex pointa aussitôt son arme sur le milliardaire australien. Celui-ci,
soudain pris de panique, se jeta sur le revolver qu'avait laissé tomber Lara
et visa Alex.
- Arrêtez ! hurla Henry. C'est ce qu'il cherche !
Les coups de feu claquèrent sinistrement. Comme par miracle, aucun des deux
protagonistes n'avait été touché. Mais la violence des armes était
suffisante : le portail se réactiva, provoquant un nouveau grondement qui
résonna dans toute la caverne. Et de nouveau, une explosion aveuglante les
envoya tous à terre.
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