Chapitre 12
Maintenant pris en charge par de vrais
gardes surarmés, Alex et Lara furent poussés sans ménagement jusqu'au fond
de la grotte principale, où un petit renforcement, protégé par une grille,
offrait une cellule naturelle et bien exposée. Ils furent donc jetés dedans
et y retrouvèrent Indy, appuyé contre la paroi.
- Vous n'auriez pas dû venir, fit-il en guise de premier commentaire.
Sans l'ombre d'une hésitation, Alex s'avança et lui décocha un coup de poing
monumental en pleine figure. Indy s'écroula. Incapable de se relever, il
resta assis, se tenant la mâchoire.
- Pourquoi tu...
- Ton père est un sérieux connard ! s'écria Alex. C'est un traître ! Un
vendu ! Un faux-cul ! Un... Un...
Alex s'arrêta, à court de qualificatifs. Indy alla pour répondre,
spontanément, mais se ravisa au dernier moment. A la place, il se mit à
sourire.
- Je suis quand même très content de vous voir, fit-il en se relevant enfin.
Je suis heureux d'avoir mes vrais amis auprès de moi.
Alex en resta pantois. Un coup d'oeil à Lara lui confirma que la jeune femme
était aussi étonnée que lui de cette réaction.
- Qu'est-ce que tu nous fais, là ? demanda-t-il.
- Je vais vous expliquer, si vous me promettez de sourire et de penser aux
bons moments qu'on a passé ensemble.
- T'as les fils qui se touchent, Jones ? Tu nous rejoues la mélodie du
bonheur ?
- Oui et non. Ces grottes ne sont pas un lieu « humain ». Disons que chaque
particule de cet endroit appartient à Satan, et que toute sa haine transpire
de partout.
- Ah, c'était ça, cette odeur...
- Pour la première fois, je suis contente de tes vannes, intervint Lara. Je
comprends ce que veut dire Indy. Nous sommes dans un endroit gorgé de mal
pur. Chaque pensée négative que nous aurions sera amplifiée et déformée.
- C'est exactement ça, confirma Indy, toujours souriant. Doute, et tu seras
paralysé par la peur. Sois triste, et tu mourras de chagrin, en sanglots.
Enerve-toi, et tu auras envie de tuer quelqu'un.
- Ok, j'ai compris, fit Alex. Donc on se sourit et on s'aime ?
- En gros, c'est ça.
- Très bien. Parfait. Mais on aura l'occasion de beaucoup sourire, dans les
minutes qui viennent ?
Indy lui répondit par un clin d'oeil complice.
- Accumule de la bonne humeur, Alex. Accumule.
- Ok, Jones, je massacrerais donc ton père en me marrant.
***
Deux heures plus tard, les bonnes
résolutions des trois amis s'étaient envolés. Accablés par leur situation,
par la perspective de leurs morts prochaines, ils s'étaient retranchés dans
un mutisme désespéré. Mais si Indy et Alex semblaient bouder, Lara était
beaucoup plus touchée. Avant que les deux hommes puissent s'en rendre
compte, des gardiens arrivèrent et ouvrirent la porte de la cage.
- Qui est Lara Croft ? demanda l'un des hommes dans un anglais haché.
- Y'a qu'une seule femme ici, connard ! grinça Alex.
Le gardien eut un mouvement vers l'aventurier, qui semblait prêt à bondir.
Mais le roumain s'arrêta, visiblement retenu par les ordres qu'il avait
reçu. Après un long regard lourd de sous-entendus, qu'Alex soutint sans
problème, il se tourna vers Lara.
- Levez-vous ! ordonna-t-il.
La jeune femme s'exécuta. Ses deux amis la regardèrent alors, comme ils ne
l'avaient pas fait depuis un moment. Ils furent frapper par son état : ses
yeux ne brillaient plus, elle semblait résignée, presque morte de
l'intérieur. Les deux amis se levèrent, inquiets, mais furent aussitôt
refouler par les gardiens. Collés contre les barreaux, ils regardèrent
s'éloigner leur amie.
- Merde... finit par lâcher Alex.
- Elle avait un regard vide, répondit Indy.
- C'est horrible, je l'avais jamais vu comme ça !
- Son départ ajoute un certain nombre de problèmes, en plus...
- Genre ?
- Je ne vois pas pourquoi Banks aurait besoin d'elle particulièrement...
- Parce qu'il a besoin de nous ?
- Oui. Pour être des élèves. La classe doit être complète pour que Satan
fasse cours.
- ‘Tain, j'ai l'impression de revenir à la fac !
- T'es allé à la fac, Alex ?
- Non, c'était juste pour dire. Et t'as prévu quoi, pour contrer Banks et
Jones Senior ?
Indy hésita avant de répondre. Il donnait l'impression de vouloir dire
quelque chose d'important, mais sembla se retenir.
- Rien. Il faut attendre et se tenir prêt...
- Tu veux casser la gueule au Diable ? s'étonna Alex.
- Non. Enfin... Je ne sais vraiment pas...
Alex se tut à son tour, incapable d'ironiser. Il finit par soupirer.
- On est mal, pas vrai ?
- Plutôt, oui, confirma Indy.
Et ils restèrent silencieux.
Des gardes vinrent les chercher une heure plus tard. On les fit descendre
dans l'enchaînement de grottes, vers l'immense caverne qu'Indy avait déjà
visité. Ils retrouvèrent Banks, son assistante chinoise et Jones senior dans
l'avant-dernier sas.
- Ah, vous voilà ! fit Banks en souriant. La classe est donc complète. L'Ecole
va pouvoir commencer. Je vais vous expliquer ce que...
Le milliardaire ne finit pas sa phrase : Alex venait de bondir dans sa
direction, dans un mouvement spontané imprévisible. Imprévisible pour toutes
les personnes présentes, sauf la jeune chinoise. Sans paniquer, elle se
plaça entre son patron et son agresseur. Pris dans son élan, Alex ne freina
pas. D'un mouvement souple et fluide, Ling Li s'écarta légèrement et arrêta
l'aventurier d'un coup de poing dans le ventre, peu puissant mais
extrêmement précis, en plein foie. Alex tituba en se tenant le ventre,
toussant, crachant et jurant. La jeune asiatique attendit patiemment qu'il
reprenne un peu ses esprits avant de s'avancer vers lui. Alex tenta de la
frapper au visage : elle esquiva sans peine et, à l'aide de deux doigts,
elle donna un petit coup violent sur la glotte. Il émit plusieurs
gargouillis pathétiques, tentant de reprendre sa respiration. Paniqué par
son incapacité à le faire, il commença à gesticuler dans tous les sens. Ling
se plaça devant lui et le gifla des deux mains, de chaque côté, sur les
oreilles. Dans un déchirant cri de douleur, Alex s'écroula, incapable de
respirer et les tympans éclatés par le dernier coup. Terrassé par la
douleur, les oreilles en sang, il finit par s'évanouir au moment où la jeune
chinoise s'apprêtait à donner le coup fatal, talon levé.
- Il suffit ! intervint sèchement Henry, et Ling retint son coup. Arrêtez
immédiatement, nous avons besoin de lui.
Banks confirma d'un hochement de tête, et la jeune chinoise retourna
sagement derrière son patron. Aussitôt, Indy se précipita auprès de son ami.
Il constata qu'il était dans un sale état : il était déjà en train de se
réveiller, mais ses tympans étaient bien éclatés, car ses oreilles étaient
remplies de sang. Indy se dit, navré, que la douleur devait être
insupportable. Il l'aida à se relever. Ils suivirent Banks, Indy soutenant
un Alex gémissant et à moitié conscient. Ils franchirent la dernière rampe
d'accès et pénétrèrent dans la gigantesque caverne qu'Indy avait visité
quelques heures auparavant. Ils traversèrent, rejoignant le portail toujours
inactif. Les six premiers pupitres étaient occupés par des jeunes femmes,
debout face à l'estrade et à la porte. Alex, récupérant petit à petit bien
qu'encore sonné et grimaçant sous la douleur, reconnut Lara comme une des
élèves déjà présente. Il fit un mouvement vers elle, mais Ling l'intercepta
aussitôt.
- C'est inutile, fit Banks, bien que West ne pouvait plus l'entendre. Ses
jeunes femmes sont droguées, afin de garantir leur docilité. C'est
particulièrement important pour votre amie.
- Vous êtes d'une bassesse proprement ahurissante, grinça Indy.
- Peu importe ce que vous pensez, docteur Jones. Si vous voulez bien prendre
place...
En silence, mais après un regard noir vers le milliardaire handicapé, Indy
aida Alex à s'appuyer à un des pupitres. Puis il se mit à celui d'à côté,
tandis que son père en prenait un troisième. La jeune chinoise amena Banks
devant le pupitre faisant directement face au portail. La tablette de pierre
était bien évidemment trop haute pour un homme assis. Indy se permit
aussitôt de ricaner.
- Auraient-ils oublié de prévoir ce genre de choses ?
- Vous pouvez rigoler, docteur Jones. Vous devriez perdre votre humour sous
peu.
Après un énième long regard, Indy se tourna vers son père : il était
visiblement très concentré. Malgré le stress qui l'envahissait de plus en
plus, il ne le laissa pas paraître et se tourna de nouveau vers le
milliardaire.
- Et maintenant ?
- Maintenant, docteur Jones ? Maintenant, mon assistante va préparer la
venue de notre illustre instituteur.
Sur ces mots, la jeune chinoise prit un sac accroché au fauteuil roulant et
s'avança vers le portail. Méthodiquement, elle étala du mastic le long de
chaque montant de l'encadrement. Puis elle planta un petit appareil
électronique dans chaque partie et s'éloigna.
- Vous allez faire sauter le portail ? s'étonna Indy.
- La violence, Junior, la violence ! intervint Henry. Satan se nourrit de la
violence.
Indy acquiesça en silence. Ling était revenue vers son patron et venait de
lui tendre le petit boîtier commandant les explosifs. Banks regarda tour à
tour Alex et les Jones, pour les avertir de l'imminence de l'explosion. Puis
il appuya sur le bouton. Dans un vacarme étourdissant, amplifié par la
taille de la caverne, le portail fut pris dans un tourbillon de flammes et
de fumée. Pourtant, malgré la violence de l'explosion, aucun des élèves
debout devant leurs pupitres ne sembla perturbés : le souffle ne se fit pas
sentir. Levant un sourcil interrogateur, Indy se tourna vers son père.
- Absorbée par le portail, répondit Henry, à voix basse, à la question
muette de son fils. Regarde !
Les montants du portail semblait incandescents, et les visages inhumains qui
les composaient semblaient fondre, les rendant encore plus ignobles et
grotesques. Soudain, un mur de lave vertical occupa l'intégralité du
portail. C'était une cascade de feu, vivante, intense, malléable, mais
contenue dans le périmètre de la porte. L'effet était saisissant, d'une
beauté plastique fascinante. Soudain, une formidable explosion secoua le mur
de lave et un rugissement indescriptible, fait de plusieurs tonalités sembla
surgir du portail. Aveuglé comme les autres, Indy ne put que se détourner en
plaquant les mains sur les oreilles. Puis tout redevint calme. Indy se
redressa, un peu sonné. La voix d'Alex se fit alors entendre à côté de lui.
- Merde...
L'aventurier se passait les doigts sur les oreilles, l'air incrédule. Puis
il se tourna vers son ami.
- Dis un truc, Junior, pour voir ?
- Tu vas bien ?
- Ah... Ben ouais, j'entends ! J'ai pas mal. Il s'est passé quoi ? Je suis en
pleine forme !
- Le Seigneur des Ténèbres nous offre un formidable cadeau de bienvenue !
intervint Banks. Il veut des élèves en pleine possession de leurs moyens !
- Cool, c'est trop sympa de sa part ! On devrait revenir plus souvent.
- Mais alors... commença Indy.
- Ah, docteur Jones, je reconnais là votre vivacité d'esprit ! En effet, ce
petit cadeau concerne tout le monde, moi y compris.
En souriant, Banks se leva de son fauteuil roulant. Ling s'approcha aussitôt
pour l'éloigner. Le milliardaire fit quelques mouvements d'assouplissement,
puis s'installa à son pupitre, invitant Indy et Alex à faire de même.
- Continuons, voulez-vous ?
Le mur de lave du portail se mit alors à s'agiter. Il sembla se tordre,
voire se plier quand soudain, il sembla se déchirer. Une main hideuse, de
près de trois mètres de diamètre, d'un rouge écoeurant, émergea du portail,
hésitant. Une odeur de soufre agressa l'odorat des élèves, mais ceux qui
étaient conscients n'en avait cure. Banks jubilait et Henry Jones était
renfrogné, concentré.
- Oh, putain de merde ! gémit Alex. T'as un plan, Junior ?
Indy ne répondit pas : il était beaucoup trop terrifié pour réagir.
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