Chapitre 4 - Vous semblez distraite, Lady Croft !
Suite à cet enchaînement
précipité d'événements, Lara paraissait absorbée par sa nouvelle mission au
point d'en avoir oublié de prévenir Winston que tout allait bien et de
demander des nouvelles de cet étrange cambriolage. Aucune question n'avait
encore eu l'opportunité de s'immiscer dans son esprit tourmenté.
Mais de son côté, Winston se faisait un sang d'encre : pas une seule
nouvelle de sa petite protégée et maîtresse de maison, et ce depuis bientôt
24 heures. La police avait passé le manoir au peigne fin afin d'y découvrir
quelque trace pouvant trahir les ravisseurs, mais sans succès, ce qui ne
surprit aucunement le vieil homme. Celui-ci guettait à proximité du
téléphone, faisant des allers et retours entre ce dernier et la fenêtre
donnant sur l'imposante grille d'entrée. D'innombrables questions se
bousculaient dans sa tête habituellement ordonnée et lucide, et avec les
heures grandissait sa nervosité. Le fait que Lara eût été brutalement
interrompue lors de leur conversation téléphonique ne le rassurait guère. De
plus, il avait cru déceler au loin un cri étouffé provenant de la jeune
fille elle-même, suivi d'un moteur démarrant précipitemment, et cela avant
que le portable ne fût brutalement éteint.
Tout à coup, comme si Dieu avait mis sa prière en file d'attente et que son
tour d'être exaucée était enfin arrivé, le téléphone sonna. Winston, malgré
son âge avancé, se précipita vivement dessus et décrocha :
- Allo? dit-il d'une voix tendue.
- Winston, c'est bien vous?
Son sourire plein d'espoir disparut. Il ne s'agissait pas de la voix de
Lara. Le vieil homme répondit faiblement :
- Oui, qui est à l'appareil?
La fille à l'autre bout du fil se présenta brièvement et s'assura que tout
allait bien du côté de Winston.
- Je m'occupe de Lara, ne vous inquiétez pas. Je peux vous promettre qu'elle
va bien et que vous aurez de ses nouvelles d'ici peu. J'ai son portable. Je
vous informerai de la situation dès que je l'aurai retrouvée, mais j'ai ma
petite idée sur le sujet. Lara m'avait appelée avant de partir au Vietnam.
Elle m'a parlé de cette mystérieuse découverte qui m'a l'air forte
intéressante, ma foi. Cela dit, je me suis renseignée à propos de
l'association dirigée par Caroline Satilana. Je ne la trouve pas très nette.
- Comment cela? demanda Winston, intrigué.
- Je n'ai pas le temps de vous expliquer. J'ai loué un 4x4 et je fonce à la
recherche de Lara. A bientôt Winston, et ne vous en faites pas trop.
- Merci mon enfant. Soyez prudente.
Winston raccrocha, presque entièrement soulagé. Il savait désormais que Lady
Croft était entre de bonnes mains, et se dirigea vers la cuisine pour se
préparer une tasse de thé bien méritée.
Lara avait posé sa lampe-torche ainsi que celle de Kev côte à côte sur le
sol afin que celles-ci couvrent tout le couloir de leur lueur vive. Elle
avait cependant conservé son sac et ses pistolets, sait-on jamais...
Elle se concentra, prit son élan et fonça comme si sa vie en dépendait. Et à
vrai dire, c'était le cas. Elle plongea vers l'avant, culbuta et enchaîna
par une roue suivie d'un salto et d'un dernier saut latéral retourné, se
faufilant entre les flèches avec une souplesse fascinante. Elle se retrouva
sur l'une des plateformes rétractile qui disparaissait déjà dans le mur,
sauta sur la suivante qui en sortait, et sprinta, frôlée à chaque fois de
près par l'une des lames se balançant en fendant l'air d'une rapidité et
d'une violence imperturbable. Arrivée au levier, elle l'abaissa avec
détermination, et tous les pièges s'immobilisèrent, les grandes dales
sortant toutes les deux du mur, complètant le couloir désormais parfaitement
continu et dégagé. La petite porte à côté de Lara s'ouvrit.
Kev en était resté bouche bée. Il saisit les deux lampes torches, sa
mallette, et rejoignit sa camarade archéologue. Si la grotte où se trouvait
le temple était immense, cette salle-ci était carrément gargantuesque!
Cependant, rien ne s'y trouvait, hormis quelques petits lacs et une énorme
ouverture dans le fond à droite. Le calme était absolu, à part peut-être un
ronronnement lointant dont on avait du mal à repérer nettement la
provenance. Mais Lara se rendit vite compte qu'elle avait omis quelques
détails lors de son premier coup d'oeil : des longues fresques encore
lisibles étaient peintes le long des parois, et à l'autre bout de la pièce
se trouvait un socle de taille ridiculement petite.
Elle prit quelques instants à lire les peintures ornant la salle. Lorsque
son regard rencontra l'une des séries de symboles, elle s'en raprocha en
fronçant les sourcils, puis soudainement ses yeux s'écarquillèrent, et elle
commença à courir en direction du socle, dégainant ses 9mm. Elle cria à Kev
qui était resté planté sur place, incrédule :
- Dépêchez-vous, je crois bien qu'un grand danger nous guette!
Mais elle fut arrêtée à mi-chemin, trébuchant suite à un brusque tremblement
du sol, suivi d'un deuxième, d'un troisième... Elle se releva non sans peine
alors que les secousses s'intensifiaient, et comme elle l'avait redouté, une
forme gigantesque surgit de l'ouverture au fond de la salle. Les trois têtes
d'un dragon fou de rage précédèrent un corps massif, lui-même suivi d'une
douzaine de queues en forme de serpents bien vivants, sifflant et se
tortillant comme s'ils flottaient avec une brise qu'eux seuls ressentaient.
Les trois gueules rugirent en même temps, tellement violemment que plusieurs
rochers se détachèrent du plafond pour venir s'écraser au sol ou dans l'un
des lacs... Ce qui donna une brillante idée à Lara! Habituée à de telles
situations assez délicate, l'aventurière ne perdit nullement son sang froid.
Kev, quant à lui, était déjà parti se réfugier dans le petit couloir d'où
ils venaient, animé par sa seule terreur.
Esquivant de justesse un coup de mâchoires aux dents aiguisées, Lara roula
sur le côté avant de dégainer ses 9mm avec vélocité et de viser... le
plafond! Les coups retentirent les uns après les autres dans le vaste
endroit, répendant son écho comme une vague de furie détonnante! Un rocher
se fendilla peu à peu -BANG! BANG!- quelques parties du plafond
s'émiettaient déjà -BANG!- Lara courait en gardant ses pistolets pointés en
haut à gauche -BANG! BANG! BANG!- deux des têtes du dragon regardèrent avec
étonnement vers le haut alors que la toisième, déterminée, décida de mener
le pas et prendre son ennemie en chasse -Bang!- Cette fois, une plaque
massive se détacha du plafond et vint s'abbattre sur les trois têtes, les
brisant l'une après l'autre. Les craquements se succédèrent entre des
rugissements furieux et des éboulements assourdissants. Après quelques
longues secondes de ce brouhaha infernal, le calme s'installa... bercé par
les sifflements des queues-serpents. Celles-ci se détachèrent soudain et
rampèrent toutes en même temps vers Lara, qui n'avait pas quitté ses deux
compagnons d'acier. Les balles surgirent de plus belle, tapissant le sol
d'éclats lumineux entre lesquels les bestioles se faufilaient, tels des
cheveux entre les dents d'un peigne. Un serpent fut atteint par un impact,
puis un autre, et un troisième, se tortillant dans tous les sens avant de
s'immobiliser complètement. Le quatrième arriva presque jusqu'à elle avant
de subir le même sort. Quant au dernier, Lara frappa vivement de sa botte
contre son crâne qui se brisa, le tout accompagné d'un sifflement aigu et
marquant sa défaite.
Encore prudente, elle rangea ses 9mm dans ses holsters jeta un bref coup
d'oeil au tunnel où Kev avait trouvé refuge. Celui-ci, encore ébloui par le
spectacle mais en même temps traversé par un effroi total, lança avec un
semblant de ton assuré, trahissant ses émotions :
- Et bien ma grande, vous savez vous y faire avec les grosses bêtes.
- J'en ai dompté de plus gros, se contenta de réponde Lara avec son sarcasme
habituel.
Mais déjà son attention s'était portée sur le socle d'où émanait une lumière
douce et apaisante. La lueur entourait en réalité un petit objet, pas plus
grand que le poing, déposé avec grâce et légèreté sur des pieds d'argile. En
s'approchant, la jeune aristocrate découvrit qu'il s'agissait d'une clé. Une
pierre précieuse (sans doute une topaze) incrustée au coeur du manche,
renvoyait des reflets jaunes d'une rare pureté.
Sans hésiter, Lara s'en empara avant de regarder Kev avec une certaine
gravité.
- Je crois que Satilana se doutait de l'existence de cet objet, dit-elle
d'un ton assuré.
- Comment aurait-elle pu? demanda Kev, incrédule.
- Je ne sais pas, mais ce que j'ai lu sur ces fresques ne m'a pas plu. Pas
du tout. Je préfère ne pas vous en faire part afin de vous épargner des
nuits d'insomnies, votre esprit tourmenté par la culpabilité. Mais nous
allons occulter notre découverte à Caroline. Je sais qu'il y en a d'autres,
et il faut à tout prix que je m'en empare également. Maintenant, faisons
demi-tour et allons-nous en.
- Oh! attendez, l'interrompit Kev. Je viens de réaliser que je n'avais
encore pris aucune photo. Maintenant que tous les dangers sont écartés, je
vais pouvoir immortaliser tout cela pour mon boulot, si vous le voulez bien.
- Pas de problème, mais faites vite.
Kev s'accroupit et ouvrit sa mallette - sac à dos avec minutie. Tout à coup,
il leva et pointa vers Lara un objet qui faisait depuis longtemps partie du
quotidien de la jeune femme : un fusil à pompe. Il grinça des dents et ses
sourcils se froncèrent alors qu'un sourire caustique se dessina sur son
visage.
- Maintenant, fini de jouer ma jolie. La dame t'a demandé de faire ton job,
alors je vais m'assurer à ce que tu le fasses jusqu'au bout!
- Et bien quoi poupée, tu ne croyais tout de même pas que ça allait se
passer aussi facilement, n'est-ce pas? J'ai eu moi-même du mal à croire que
tu aies pu gober ce stupide surnom : Kev Yook. Qui pourrait donc s'appeler
ainsi sans en crever de honte? Ha ha! Allez, mains en l'air, et balance la
clé à tonton Max.
Lara, bouche bée, leva lentement les mains, silencieuse. Puis un air
espiègle vint se greffer à son visage. Kev -ou plutôt Max- en fut légèrement
déstabilisé, mais vu ses brillants talents de comédien, il parvint sans trop
d'efforts à masquer sa confusion. Il fit coulisser le canon sur le corps
inférieur de son fusil à pompe, provoquant un cliquetis qui indiquait à son
adversaire qu'il ne s'agissait nullement d'une plaisanterie. Celle-ci se mit
cependant à parler sans gêne :
- Lac Long Quan.
- Qu'est-ce que c'est encore? ne put s'empêcher de demander Kev, dont la
curiosité venait apparemment de triompher.
- Le Dieu Dragon du Lac Sacré, à l'origine de l'une des plus illustres
légendes vietnamiennes. On dit qu'il est tombé amoureux d'une fée, et qu'ils
ont eu ensemble 100 petits : 50 dragons, et 50 fées. Mais malheureusement
pour eux, l'évidence de la situation les obligea à reconsidérer leur mode de
vie : dragons et fées ne pouvaient cohabiter ensemble. Ils se séparèrent
donc, emportant chacun leurs oeufs respectifs, qui donnèrent naissance aux
ancêtres des grands chefs des tribus actuelles. Et savez-vous pourquoi ils
se sont séparés?
- Non, pourquoi? Et dépêche-toi!
- Parce que la fée était mère de l'eau, et le dragon maître du feu. L'eau et
le feu sont incompatibles, "Kev".
Sur ce, elle se jeta sur lui telle une panthère bondissant sur sa proie. Max
pressa la détente, mais seul un faible cliquetis étouffé par l'eau s'échappa
de l'arme. Lara lui balança un violent coup de pied retourné qui fit claquer
sa machoire, et l'homme s'écrasa au sol sur le flanc, poussant un grognement
plaintif. Puis il s'écroula totalement et ne bougea plus.
- Vous auriez dû mieux surveiller votre sac. Même moi, j'avais remarqué la
fuite.
Elle brandit la clé, qu'elle n'avait pas lachée depuis le début, et la porta
à hauteur de son regard. De minuscules inscriptions cunéiformes ornaient la
matière solide, mi-roche mi-métal, dans laquelle était incrustée la topaze.
Lara connaissait ces inscriptions, et même trop bien. Elles étaient
également gravées dans sa mémoire, et le souvenir qu'elles firent ressurgir
ne lui plaisait guère.
Ils gardaient simplement leur Dieu, pensa-t-elle avec un léger remords. Ils
connaissaient son existence. S'ils apprenaient ce qui s'est passé...
Heureusement, il ne s'agit que d'une légende et leur peuple ne descend pas
de ce dragon inexplicablement idolâtré. Qu'il repose en paix.
- Lara? C'est bien toi?
Lady Croft pivota brusquement sur elle-même, les yeux écarquillés. Cette
voix, qui lui était si familière, venait du couloir qu'elle-même avait
emprunté pour arriver jusqu'à cette salle. Ses soupçons furent confirmés
lorsque la jeune fille à laquelle elle pensait arriva, à bout de souffle. En
la voyant, Lara ne put s'empêcher de sauter de joie et courut dans sa
direction.
- Anaya! s'écria-t-elle. Mais bon sang, que fais-tu donc ici? Tu sais quels
risques tu cours?
- Ne t'en fais pas, Lara. J'ai un bon guide. Je te présente Aang Mae.
La petite vietnamienne derrière Anaya se montra discrètement, les yeux
baissés et un sourire timide aux lèvres. Elle ne devait pas avoir plus de 22
ans, et sa corpulence minuscule et non moins frêle lui donnait l'air très
fragile, comme si un simple coup de vent pouvait la balayer à des
kilomètres. Elle salua Lara avec une formule minutieusement calculée, dans
un Anglais respectable :
- Enchantée, Lady Lara.
- De même. Vous arrivez après la fête.
- C'est bon, tu n'as rien? demanda Anaya avec inquiétude, les yeux rivés sur
le mystérieux Max.
- Non, mais je connais un traître qui va devoir miser sur l'aspirine pour
supporter ses 20 prochaines heures.
Anaya sourit avec bienveillance :
- Je savais que tu t'en sortirais. J'ai appelé Winston qui se faisait un
sang d'encre. Il sera content de savoir que tu es saine et sauve. Tiens,
voilà ton portable. Maintenant, ne traînons pas ; le secteur est bien gardé,
et je crains que sous le coup de l'inquiétude, quelques mercenaires pointent
leur nez d'une minute à l'autre.
Lara se tenait droite et imposante, de façon à couvrir la vue du dragon à
Aang Mae. Anaya ne fit aucun commentaire, sachant très bien que Lara ne
parlerait que de ce qui devrait être évoqué, et de rien d'autre. Ils auront
déjà toute l'équipe de Satilana sur le dos, il ne faudrait en aucun cas se
farcir la haine des villageois enragés par dessus tout.
- Allons-nous en, alors, ma chère Anaya! Je suis si contente de te revoir!
- Ne t'en fais pas, Lara, nous aurons tout le temps de parler dans l'avion.
Les trois jeunes femmes rebroussèrent chemin avec hâte, laissant derrière
elles le prétendu Kev Yook, et le légendaire dragon Lac Long Quan.
Caroline marchait avec frénésie, décrivant des cercles aléatoires au pied de
sa hutte. Elle était furieuse d'avoir perdu une partie si importante de son
équipe dans ce bain de sang, et elle sentait qu'elle ne pourrait pas
supporter plus longtemps l'absence suspecte de Croft et cet abruti de Redger.
Cette attaque imprévue l'avait mise hors d'elle, et elle sentait qu'un autre
événement malchanceux la rendrait complètement folle. Elle demanda à l'un
des hommes armés depuis combien de temps ces deux crétins étaient partis
jouer les explorateurs. Il lui répondit presque deux heures. Le groupe de
mercenaires avait feint de battre en retraite, et lorsque la menace fut
écartée depuis un bon moment, ils reprirent leurs postes de vigiles.
Caroline espérait que Croft n'avait pas profité de ce laps de temps
relativement bref pour filer à l'Anglaise. Ce jeu de mot dérisoire la fit
sourire, et elle dut se contenir pour ne pas éclater de rire et réellement
passer pour une fêlée auprès de l'équipe décimée.
Et s'il leur était arrivé quelque chose? Qui enverrait-elle à leur place?
Non, une telle possibilité était impensable, elle avait engagé la meilleure
des archéologues, et elle ne pouvait pas avoir échoué.
Un de ses hommes arriva en courant. A court de souffle, il lui cria :
- Les voilà, m'dame Satilana. La porte est en train de s'ouvrir.
- Très bien, je vous remercie, répondit sèchement Caroline. Allons donc les
accueillir comme il se doit...
Lara avait prié pour que la porte fût ouvrable de l'intérieur, mais vu qu'Anaya
et Aang Mae avaient réussi à rentrer juste après la fusillade, elle se
doutait que l'ancien système de sécurité n'avait pas encore été réactivé.
Elle exerça une pression maintenue, et le portail commença à trembler. Alors
qu'un fin rai de lumière déchirait progressivement l'obscurité,
l'aventurière porta une main à sa ceinture et en extirpa un objet métallique
de la taille du poing.
- Reculez, les filles, murmura-t-elle malicieusement.
Lorsque l'ouverture avait atteint une quarantaine de centimètres, elle
dégoupilla et jeta rapidement une grenade fumigène qui ne tarda pas à faire
son effet.
- Allons-y, dépêchez vous!
Les gardes, pris au dépourvu, tentèrent d'abord de localiser leur cible,
mais leurs lunettes furent très vite embuées et il leur fut impossible d'y
voir quoi que ce soit. L'un ou l'autre tira dans le vide, et un hurlement
retentit :
- AÏE, ATTENTION, PAUVRE IMBÉCILE! TU M'AS TIRÉ DANS LA JAMBE!
Des jurons s'élevèrent d'un peu partout, alors que trois fines silhouettes
déguerpirent en direction de la jungle dense. Un hommes les repéra et
commença à tirer dans la verdure, aussitôt imité par un deuxième. Mais en
vain. Elles avaient disparu.
Caroline arriva précipitemment sur le chantier, exaspérée. Cette bande
d'incompétents les avaient laisser filer. Son teint devint rouge et elle
senti la chaleur lui monter au visage. Folle de rage, elle hurla à son
personnel :
- QU'ATTENDEZ-VOUS, BANDE D'ARRIÉRÉS? RATTRAPPEZ-LES!
Une vingtaine de mercenaires s'élancèrent dans la jungle, courant à en
perdre haleine, se faufilant entre les troncs et les lianes.
La Jeep d'Anaya était garée à une centaine de mètres du site, et elles ne
tarderaient pas à la voir se dessiner entre les arbres. Lara s'arrêta
brusquement et regarda derrière elle. Elles perdaient du terrain.
- Allez déjà jusqu'à la Jeep, leur cria-t-elle. Si je ne vous rejoins pas et
qu'ils arrivent, foncez!
- Non, Lara!
- Ne t'en fais pas pour moi Anaya, courez!
Alors que ses deux amies reprirent leur course, Lady Croft s'empressa de
monter dans un arbre avec une habileté déconcertante. Elle remonta une liane
qu'elle attacha solidement à sa ceinture et dégaina ses 9mm qui, eux,
avaient eu le temps de sécher totalement. Lorsque les hommes armés étaient
suffisamment proches, elle exécuta l'un de ses splendides sauts de l'ange
entre les branches et, tout en tirant, accrochée à la liane, décrivit un
léger arc de cercle, criblant le sol de balles, au plus grand étonnement de
ses victimes. La liane la faisait descendre de plus en plus, cédant sous son
poids. Arrivée à 2m du sol, notre héroïne tendit les pieds vers l'avant,
décrochant un coup percutant dans la poitrine d'un de ses adversaires. Puis
la liane s'enroula autour d'un arbre, et Lara agrippa par les jambes un
autre homme, qu'elle déstabilisa avant que la crosse de son pistolet ne
s'abatte sur son front. Sa corde improvisée fut coupée par l'écorce et la
jeune anglaise attérit sans peine sur ses deux pieds. Evitant les balles,
elle descendit encore deux ou trois hommes avant de sprinter aussi vite
qu'elle put vers la Jeep, qui était toujours là. D'un bond gracieux, elle
monta dans la voiture qui était déjà en train de démarrer, les pneus
crissant sur le sentier rocailleux, élevant un imposant nuage de poussière
derrière elle. Lara continuait de tirer, tournée vers l'arrière. Un autre
bruit de moteur se fit entendre et un 4x4 bondit hors de la flore, écartant
brutalement les arbres les plus menus au travers desquels elle avait réussi
à se frayer un chemin. Quatre hommes étaient à bord et tiraient déjà dans sa
direction. Lara lança son grappin, qui s'accrocha à une brance en l'air, et
tira de toute ses forces. La branche céda, dénouant une liane qui se mit à
pendre en plein milieu du chemin. Celle-ci attrappa deux des mercenaires au
passage du gros 4x4, qui furent pris à la gorge ou à la poitrine avant de
s'écraser lourdement au sol. Le troisième mercenaire fut touché par quelques
balles de 9mm, puis l'une d'elles toucha le pneu avant gauche, déstabilisant
le véhicule qui fit plusieurs tonneaux dans la forêt avant d'exploser dans
un tourbillon de flames et de fumée sombre.
Aang Mae avait suivi la scène avec de grands yeux, complètement paniquée.
Lorsque plus aucun danger ne semblait se pointer derrière la Jeep, Anaya
posa sa main sur le bras de la petite Vietnamienne.
- Ne t'en fais pas, dit-elle. On a réussi, et on va te ramener chez toi
saine et sauve.
- Merci, Madame Anaya. Tôi khoẻ! Merci, Lady Lara.
- Không dám, répondit Lara avec douceur.
Après avoir raccompagné Aang Mae chez elle, les deux amies roulèrent en
direction de l'aéroport. Une fois à proximité de Hanoi et qu'un peu de
réseau local fût capté, Lara sortit son portable et appela Winston.
- Allô? répondit le vieil homme, dont la voix trahissait une certaine
tension.
- Winston, c'est Lara.
- Oh, ma petite... je veux dire : Lady Croft! Quel soulagement de vous
savoir vivante!
On ne pouvait se tromper sur la sincérité de cette phrase.
- Et vous, Winston, vous allez bien?
- Moi oui, mais on ne peut pas en dire autant du manoir, mademoiselle.
- Je m'en doute. J'engagerai quelques femmes de ménage pour vous venir en
renfort. Ainsi que... quelques réparateurs... Alors, dites-moi, ils n'ont
vraiment volé que...?
Lara n'eut pas besoin de terminer sa phrase.
- Oui, Lady Croft. J'en suis sincèrement navré.
- Et juste ça? Sous mon lit, la trappe...?
- J'en suis presque sûr.
- Tout cela a un lien...
- Comment cela?
- Je vous expliquerai tout cela une fois rentrée. Je vais devoir vous
laisser, mon cher Winston. Allez donc vous reposer, vous devez en avoir bien
besoin.
- Merci d'avoir appelé, Lady Croft. Bon retour.
A la fin de la journée, Lara et Anaya se trouvaient dans l'Airbus A321 à
destination de Londres et discutaient calmement, savourant leurs
retrouvailles ainsi que le coucher de soleil envoyant des teintes roses et
violettes au dessus d'un océan moelleux de nuages. Puis vint le moment
inévitable où elles furent amenées à parler de cette étrange supercherie
dont Lara fut la marionnette principale, quelques heures auparavant.
- Lara... commença prudemment Anaya. J'ai effectué quelques recherches après
que tu m'aies appelée, hier. La compagnie de Satilana... elle est louche.
- Je m'en doute, répondit son amie d'un ton sérieux. J'ai rarement vu des
scientifiques armés jusqu'aux dents, du moins pas ailleurs que dans les
films de série B. Ce qu'elle cherchait, Anaya... Je crains de savoir à quoi
cela va nous mener et je n'aime pas ça du tout.
- Je sais, Lara. Je vois tout à fait de quoi tu veux parler. Et si ça peut
confirmer tes soupçons, sache que l'entreprise de Satilana a longtemps
coopéré avec Natla Technologies. C'est ce qui m'a fait venir aussi vite,
surtout après avoir appris que ton manoir avait été cambriolé.
- J'en étais sûre! Caroline...
- Dis-moi, qu'est-ce qu'ils cherchaient? S'ils ont tout saccagé sans rien
voler, que voulaient-ils donc?
- Ça, Anaya, je ne peux pas te le dire. J'ai confiance en toi et en notre
amitié, mais il y a des secrets qu'il nous faut garder. Même si cela peut
nous coûter très cher.
A suivre...
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