Chapitre 2
- T'as quand même moins la classe que la
dernière fois que t'es venue...
- Je viens pas pour les mêmes raisons, répondit Lara. Je viens pas « séduire
» un Yakusa, cette fois.
L'ascenseur s'ouvrit sur le somptueux couloir donnant sur le non moins
somptueux club tokyoïte de Nishimura Toru. Elle salua quelques clients d'un
hochement de tête, mais ne s'attarda pas : elle fonça directement vers le
bureau du propriétaire. Une fois devant la lourde porte, elle attendit
patiemment sous l'oeil de la petite caméra de sécurité. La serrure passa
alors au vert et elle entra. « L'armoire japonaise », comme elle aimait à le
surnommer, s'approcha d'elle.
- Miss Croft, fit-il en s'inclinant avec déférence.
- Nishimura-san, répondit-il en faisant de même.
Après ce protocole typiquement japonais, ils s'enlacèrent amicalement.
- Tu as un peu grossi, Toru, fit Lara d'un air de reproche.
- Je m'en défends ! Je continue à m'entretenir.
- Pas assez... Tu devrais m'accompagner, un de ces quatre.
Toru fit une moue atroce, exprimant clairement le dégoût que cette
proposition lui inspirait.
- J'ai assez donné sur le terrain. J'adore me retrouver derrière un bureau !
- Ben oui, c'est bien ce que je dis !
Elle donna une tape sur le ventre de son ami et lui fit un clin d'oeil.
- Tu es venue te moquer de moi, Lara ?
Elle afficha un sourire innocent, puis reprit aussitôt son sérieux.
- Je suis venue te parler du masque.
- A ton air, tu n'as pas une bonne nouvelle à m'annoncer. Whisky ?
- Brandy, s'il te plait. On me l'a fauché sous le nez.
- Qui ?
- Une femme. Une autre équipe, plutôt.
- Mafia concurrente ? Ou archéologues aventuriers ?
- Difficile à dire... Je pencherais néanmoins pour la seconde option.
Toru s'assit sur le bord de son large bureau, face au fauteuil qu'avait
choisi Lara. Il fit tourner nonchalamment l'alcool dans son verre en
soupirant.
- Il réapparaîtra donc lors d'une vente aux enchères. J'en suis désolé.
- Pas autant que moi.
- Merci d'avoir essayé, Lara.
Elle ne répondit pas, se contentant de siroter son brandy en silence, le
regard fixé sur son ami. Il lui rendait son regard par moment, agrémenté
d'un petit sourire amical, mais il finit par être gêné, puis mal à l'aise.
Il soutenait de plus en plus difficilement la posture fixe de Lara.
- Quoi ? demanda-t-il enfin.
- Mais rien, Toru... Rien du tout...
Lara termina son brandy et reposa le verre sur le bureau. Elle croisa
élégamment les jambes, sans quitter son ami des yeux. Soudain, Toru
écarquilla les yeux.
- Non... Non. Non ! Je t'ai déjà dit que je ne t'aiderais pas pour ça !
- Mais je n'ai rien demandé, Toru...
- C'est hors de question ! continua-t-il, ignorant l'intervention de la
jeune femme. C'est trop gros pour toi. Pour nous ! De toute façon, cette
liste est un mythe.
Lara haussa un sourcil ironique.
- Tu te contredis...
- Oui, bon, d'accord, ce n'est pas un mythe. Mais cette liste est perdue
depuis plus de cinquante ans !
- Elle est bien cachée, n'est-ce pas ? A l'abri des psychopathes du
dimanche.
- Exactement ! Laisse-la où elle se trouve.
- Tu me prends pour une psychopathe du dimanche, Toru ?
- Tu as très bien compris ce que je veux dire.
- Ce que je sais, c'est que cette liste est revenue dans les esprits de
beaucoup de monde... Et que des moyens colossaux vont être mis en oeuvre pour
la retrouver. Qu'elle tombe entre de bonnes mains !
- Non, je ne t'aiderais pas, Lara. C'est trop gros !
Elle se tut. Une nouvelle fois, elle fixa son ami japonais sans donner
l'impression de le regarder, dans une posture à la fois sévère et
nonchalante. Elle savait qu'elle pouvait manipuler Toru à peu près comme
elle le voulait, son affection pour elle étant largement supérieure à ses
remords. Elle n'avait qu'à attendre en le mettant mal à l'aise, chose
qu'elle maîtrisait parfaitement. Toru s'agitait, mal à l'aise : Lara
admirait des émotions et des réflexions contraires s'agiter dans la tête de
son ami.
- Arica, lâcha-t-il enfin, tout en donnant l'impression de le regretter.
Lara fronça les sourcils, cherchant dans ses connaissances ce qu'était
Arica.
- Une des villes les plus au nord du Chili, intervint Zip.
- Le Chili ? reprit-elle à l'intention de Toru.
- Ne trouves-tu pas ça logique ?
- Tu réponds à une question par une autre question...
- Ce qui veut dire que je n'en dirais pas plus. Si tu veux bien m'excuser,
Lara, j'ai du travail.
La jeune femme éclata de rire.
***
Fatigué et agacé, Zip roulait vite, sans se
soucier des cahots provoqués par la piste terreuse qu'ils parcouraient. Au
volant d'un vieux camping-car, il bondissait sur son siège à chaque ornière,
ou à chaque virage pris un peu trop rapidement, sans se soucier que tout ce
qu'il ressentait était amplifié pour les passagers à l'arrière. Si Lara s'en
amusait, ce n'était pas le cas d'Alister. Plus habitué au confort d'une
bibliothèque, il était blême et semblait près à rendre ses boyaux.
- On fait une pause ! hurla Lara à Zip pour couvrir le bruit du moteur.
- C'est toi la patronne !
Le jeune homme freina brusquement, mettant ainsi un terme aux derniers
efforts d'Alister : il bondit hors de la camionnette et rendit bruyamment
tripes et boyaux. Zip quitta son siège et passa à l'arrière, non sans jeter
un coup d'oeil ironique sur son camarade. Il s'assit sur la banquette,
faisant mine d'ignorer le regard réprobateur de sa patronne.
- Alors, Lara, pourquoi ENCORE la Bolivie ?
- Parce que c'est à côté du Chili, répondit aussitôt Lara.
- Humour pourri, quand tu nous tiens... Bon, alors si tu m'expliquais plutôt
ce qu'on cherche ? Ce que c'est que cette « liste » dont Toru avait si peur
?
Alister, pâle comme un fantôme, remonta dans le camping-car juste à temps :
Lara ne pouvait pas le priver de raconter une telle anecdote.
- La Liste Surnaturelle, fit-il, la voix un peu chevrotante. Il s'agit d'un
document, enfermé dans un coffre à bijoux renforcé, listant tous les
artefacts surnaturels ou religieux qui intéressaient Hitler, ainsi que leurs
emplacements supposés et approximatifs. Liste au sommet de laquelle on
trouvait...
- Le Saint-Graal et l'Arche d'Alliance, conclut Lara, qui ne put s'empêcher
de priver Alister de la révélation finale de l'anecdote.
- Ça me rappelle l'histoire d'un archéologue réputé, ça... fit Zip.
- Oui, Indiana Jones, répondit Alister. On raconte qu'il aurait trouvé les
deux au nez et à la barbe des nazis.
Lara eut un sourire en coin. Elle n'avait jamais dit à ses deux associés
qu'Indiana Jones était vivant, et surtout, qu'elle le connaissait. Elle
avait juré à celui-ci qu'elle garderait son secret, et surtout, qu'elle
respecterait sa retraite bien méritée.
- Ok, donc tout le monde est à la recherche de cette liste, résuma Zip. Mais
pourquoi la Bolivie ? Enfin, le Chili ?
- Quand le troisième Reich est tombé, beaucoup d'officiers nazis, pour ne
pas dire tous ceux qui étaient vivants et qui ont pu s'enfuir, se sont
exilés en Amérique Latine.
- De Berlin à Santiago du Chili, continua Lara, de Santiago du Chili à
Arica, d'Arica à la région de Desaguadero. En Bolivie.
- Sauf qu'on n'y passe pas, et que je vais encore rater le lac Titicaca !
- Au retour, promis. On reprend la route ? Il nous reste une bonne heure de
montagne avant d'arriver aux ruines.
Zip retourna au volant, accompagné par les gémissements d'Alister.
Comme elle l'avait fait pour atteindre les ruines de Tiwanaku, Lara escalada
une paroi rocheuse abrupte. Les similitudes avec son dernier passage en
Bolivie continuèrent une fois qu'elle posa le pied sur le plateau : même
topographie, même type de ruines.
- Bis repetita non placent !
- Tu te mets au latin, Zip ?
- Juste celle-là, et Alister vient de me la souffler.
- Je la sens mal, cette histoire... Je sens que je ne suis pas seule.
- Ouais, ben sois prudente !
Si Lara avait la sensation de pas être seule dans ces ruines, c'est parce
qu'elle ne voulait pas être seule. Secrètement, sans se l'avouer totalement,
elle espérait que la femme aux cheveux rouges l'avait suivie jusqu'ici.
Qu'elle était prête à lui voler ce qu'elle convoitait sous son nez. Car
cette fois, Lara était prête, et elle ne se laisserait pas doubler une
nouvelle fois. Son précieux Desert Eagle à portée de main, elle s'avança
dans les ruines.
- Alister dit qu'elles ont été fouillées et refouillées, intervint
Zip.
- C'est vrai. Mais tous, gouvernement bolivien compris, cherchaient des
reliques mayas, voire de l'or pour les plus... cupides. Alors que nous...
- On cherche des traces d'un passage nazi !
- Exactement.
Elle arriva dans une salle, en tout point identique à celle de Tiwanaku : la
mousse sur les murs de pierre, les effondrements ici et là, les rayons de
lumière donnant une ambiance à la fois calme et inquiétante et les rochers
lissés par le temps.
- Bis repet...
- Je sais ! coupa Lara. Mais cette fois, on peut noter des différences
notables et très intéressantes...
- Comme ?
- Une croix gammée.
Le silence se fit dans son oreille. Lara imagina en souriant ses deux
acolytes devant l'écran, cherchant la croix comme sur une image d'Epinal.
Après de longues minutes, elle entendit Alister étouffer un cri.
- Tu ne penses quand même pas à...
- Oh si, j'y pense !
- C'est une coïncidence !
- Pour toi, peut-être, Alister. Moi j'y vois la preuve que nous sommes au
bon endroit.
Devant elle, dans la salle, plusieurs énormes blocs de roches, tombés des
murs, formaient grossièrement le symbole nazi. Elle s'avança donc en
direction de la structure quand elle entendit soudain un petit grattement.
Immédiatement, elle se mit en alerte et dégaina son arme. Beaucoup plus
précautionneuse, elle s'approcha en silence des blocs. Son but était de
surprendre la fille aux cheveux rouges, et non l'inverse. Elle était tendue
et attentive, tout son être prêt à réagir. Et pourtant, c'est dans son dos
qu'elle sentit la présence. Elle laissa passer deux petites secondes, puis
pivota brusquement sur elle-même, arme braquée sur la fille aux cheveux
rouges. Elle se trouva face au canon d'une arme. Arme tenue par un homme.
- Putain, la trouille ! s'écria Zip dans son oreille.
- Silence radio, fit-elle sèchement en retirant son oreillette.
Lara lutta pour garder le contrôle de ses nerfs et réussit à se contenter
d'un haussement de sourcils.
- West... souffla-t-elle.
- Croft, répondit simplement Alex.
Ils abaissèrent leurs armes en même temps, et la tension retomba. Ils
tombèrent alors dans les bras l'un de l'autre.
- Donne-moi une seule bonne raison de ne pas te tuer, lui murmura-t-elle à
l'oreille.
- Facile. J'ai des milliers de trucs à raconter et à expliquer. Et tu meures
d'envie de les savoir.
Ils se séparèrent. Lara rangea son arme et s'assit sur une colonne de pierre
écroulée, transformée en banc de fortune.
- Je t'écoute, Alex.
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