| Chapitre 7Le soleil se leva enfin, terminant cette 
	nuit d'horreur. Hélas, un horrible crachin tombait sur la campagne anglaise, 
	rendant l'aube triste et grise, et augmentant l'amertume des deux amis. 
	Indiana et Alex marchaient dans les ruines du manoir, en silence, profitant 
	de la lumière du jour pour évaluer l'étendue de l'attaque. Toute la partie 
	frontale du bâtiment avait souffert : la porte d'entrée était éventrée, les 
	murs criblés d'impact de balles, et aucune fenêtre n'était restée debout. 
	L'intérieur n'était pas mieux : les grenades explosives avaient détruit tout 
	le mobilier, et les fumigènes avaient noircis les murs. Tout était détruit, 
	renversé ou souillé. Winston, qui s'était réfugié avec Bryce pendant 
	l'attaque, commençait déjà à nettoyer en silence. Le jeune homme était 
	retourné dans sa caravane pour pleurer après avoir appris la nouvelle. Dans 
	le salon principal, Alex et Indy se mirent à redresser ce qui pouvait encore 
	l'être.- Lara est morte... lâcha Alex, la voix étranglée.
 Indy l'aida à redresser l'un des canapés. Il était en excellent état, ce qui 
	était assez étonnant vue sa position initiale, en plein milieu.
 - Nous n'en avons pas la confirmation, fit Indy.
 Alex regarda son ami. Ses yeux s'illuminèrent l'espace d'un instant, avant 
	de s'éteindre rapidement.
 - Il reste un espoir, Alex... Après tout, nous l'avons vu blessée et 
	inconsciente. Pas forcément morte...
 - C'est léger, comme espoir. Tu as vu le regard de ton vieux ? Il était 
	assez clair...
 - Mon père a toujours le poids du monde sur les épaules quand quelque chose 
	le contrarie. Ca ne veut rien dire.
 Alex offrit un pâle sourire.
 - Et puis, pourquoi emmener son cadavre, si elle était vraiment morte ? 
	continua Indy.
 - Tu crois sincèrement qu'elle est vivante ?
 - Non. Je n'ai pas dit ça. Je n'en sais rien, pas plus que toi. Elle est 
	peut-être morte, c'est hélas une possibilité.
 - « Hélas », oui... Bon, je sais ce qu'il me reste à faire...
 - Non, Alex, tuer Banks ne fera pas avancer les choses.
 - Justement, ça va tout arrêter !
 - N'en sois pas si sûr. On ne peut pas se permettre de réagir comme ça.
 - Réagir comment ?
 - Se venger, je veux dire. C'est trop important pour que l'on prenne le 
	risque de tout gâcher.
 - Plus important que Lara, Indy ?
 - Oui.
 Indy avait lâché sa réponse sans hésiter, froidement. Alex se tendit, 
	serrant les poings.
 - Pas pour moi... fit-il entre ses dents.
 - Parce que tu n'as pas la lucidité de voir l'essentiel : Banks veut lâcher 
	un fléau qui pourrait tuer des millions de personnes !
 - La femme que j'aime est morte, rappela Alex.
 - Tu n'en sais rien. Et même si c'était le cas, tu accepterais le fait que 
	d'autres personnes innocentes meurent ?
 Indy se rendit compte que son ami montait en pression, et était prêt à 
	exploser. Il prit un ton plus doux, apaisant.
 - Ecoute, Alex, je te demande juste de me faire confiance. J'ai besoin de 
	toi à mes côtés, nous devons lutter ensemble.
 - Oh, tu as besoin de moi ? C'est nouveau, ça ?
 - Je préfère ignorer ce commentaire et considérer que c'est sous le coup de 
	l'émotion.
 Alex ne répondit pas et ils continuèrent à ranger en silence.
 *** Une lumière blanche l'enveloppait, 
	aveuglante et dure. Quelque chose de sourd lui parvenait à intervalles 
	réguliers, mais elle ne savait pas si elle l'entendait ou le ressentait. 
	Lentement, le blanc s'estompa vers le noir complet. Puis plus rien. *** Trois jours après l'invasion dramatique, 
	les quatre locataires du manoir avaient enlevé tous les débris. Depuis la 
	veille, des ouvriers et leur matériel avaient investi le parc de la 
	propriété afin de reconstruire et de réaménager. Alex ne décolérait pas : il 
	avait transformé son chagrin en rage, et ça allait de mal en pis. Au point 
	qu'Indy s'obligea à le surveiller et à rester lucide, malgré son propre 
	chagrin. Il regarda les ouvriers travailler un petit moment, dehors, puis 
	rentra dans le manoir. Winston nettoyait, rangeait, vidait sans relâche. 
	Bryce passait ses journées devant ses ordinateurs, entre deux crises de 
	larmes. Il trouva Alex à l'étage, dans la chambre de Lara. Il remplissait sa 
	valise.- Qu'est-ce que tu fais ? demanda Indy.
 - Ca se voit, non ? répondit Alex sur un ton mauvais.
 - La mort de Banks va faire empirer les choses...
 - Je m'en contrefous.
 - Non, tu ne peux pas, désolé. Les conséquences sont trop graves.
 - Peu importe. Je ne compte pas survivre à ma tentative, de toute façon.
 - C'est très intelligent de ta part, bravo... ironisa Indy.
 - Je t'emmerde, Jones.
 - Tu ne partiras pas.
 Alex leva le nez de sa valise et regarda son ami.
 - Ah oui ? Je vois pas ce qui pourrait m'en empêcher...
 - Moi.
 Alex le regarda un moment, stupéfait, puis se détourna en ricanant. Il ferma 
	sa valise d'un coup sec. L'empoignant fermement, il se dirigea vers la 
	porte. Avant de croiser Indy, il reçut un coup de poing en plein visage, 
	bien en face. Il tomba lourdement au sol et se secoua la tête pour se 
	remettre les idées en place.
 - Désolé, Alex, mais je ne peux pas laisser ton - notre - chagrin mettre en 
	danger l'humanité entière.
 - Pas de problème, Jones... fit Alex d'un air inquiétant, en se relevant. Tu 
	viens de me donner un vrai et bon prétexte...
 Indy haussa les épaules et soupira.
 - S'il faut en passer par là...
 Soudain, sans prévenir, Alex fonça tête baissée sur son ami. L'attrapant à 
	la manière d'un joueur de rugby, il traversa le couloir en poussant, voire 
	en portant Indy. Celui-ci résista comme il put, et il réussit à rompre la 
	charge au sommet des escaliers. Trébuchant ensemble, ils dévalèrent les 
	marches dans les bras l'un de l'autre, en roulant alternativement. Ils 
	s'écrasèrent lourdement en bas, mais ce fut Alex qui se redressa le premier. 
	Il était malgré tout un peu sonné par la descente.
 - Allez, Junior ! fit-il, en insistant sur le terme. Debout !!
 *** La lumière blanche avait perdu de son 
	uniformité. Bien que toujours dure et aveuglante, elle était cassée par des 
	formes géométriques de couleur. Des tons qui restaient très lumineux, mais 
	qui donnait une rupture bienvenue dans la lumière blanche. Maintenant, elle 
	savait aussi qu'elle entendait des sons, et elle pouvait même être sure que 
	c'était des voix. Des gens qui parlaient, certainement. Mais elle n'arrivait 
	pas à se concentrer pour comprendre. Puis le noir revint et ce fut tout. *** Le combat s'était déplacé à l'extérieur, et 
	faisait rage. Les coups étaient portés pour faire mal, à tel point que les 
	ouvriers cessèrent leur travail pour entourer les belligérants. Les paris 
	commencèrent à fuser, la plupart en faveur d'Alex, visiblement plus jeune et 
	plus athlétique. D'autant qu'il prenait régulièrement le dessus. Mais Indy 
	faisait plus que résister et certains de ses coups ébranlèrent sans conteste 
	son ami. L'intensité, en baisse à cause de la fatigue des combattants, 
	redoubla rapidement sous les encouragements de ce public improvisé. Alerté 
	par des vivas assez mal venu dans le contexte actuel, Winston arriva pour 
	obtenir des explications : il fut consterné. Le contre-maître du chantier le 
	rejoignit rapidement.- Ils ne sont pas d'accord avec mon devis ? demanda-t-il.
 Winston soupira et réajusta son costume, retrouvant son flegme habituel.
 - Pourriez-vous les séparer, je vous prie ? fit-il au contre-maître.
 - Ouais, sans problème. Allez les gars, la récré est finie ! cria-t-il aux 
	ouvriers. Séparez-moi ces messieurs et remettez-vous au boulot !
 En maugréant, les ouvriers rompirent les rangs. Les plus costauds séparèrent 
	les deux belligérants. Alex, toujours furieux, se dégagea de leur prise et 
	rentra rageusement dans le manoir. Indy, quant à lui, ne refusait pas le 
	soutien des deux ouvriers.
 - Ca va, m'sieur ? demanda l'un d'eux.
 - Oui, oui... balbutia Indy. Vous pouvez me lâcher.
 Ils s'exécutèrent. Indy chancela sur ses jambes.
 - Il tape fort, quand même... remarqua-t-il.
 Et il s'écroula en avant, complètement K.O.
 Après deux bonnes heures passées dans un état semi-conscient, allongé sur le 
	canapé, Indy retrouva la plupart de ses moyens. Il tenta de bouger et poussa 
	aussitôt un gémissement déchirant : son corps n'était qu'une entière 
	courbature. Il retomba sur son oreiller et attrapa la poche de glace que lui 
	apportait Winston.
 - J'ai discuté avec un bulldozer... gémit Indy.
 - Si l'éminent docteur Jones le dit, fit Winston, mordant.
 - Ok, j'admets, vous avez le droit de nous trouver ridicule.
 - Je n'avais pas attendu votre autorisation, docteur Jones.
 - Je ne peux que vous donner raison... A croire qu'il me manque de la 
	maturité, même à mon âge.
 - Chacun réagit à sa façon, docteur Jones.
 Indy soupira, ne pouvant que reconnaître le fondement des reproches 
	implicites du majordome.
 - Où est-il ? finit-il par demander.
 - Il est parti, comme vous vous en doutez, répondit Winston. Je n'ai pas 
	demandé où, mais je pense que cela est assez évident.
 - Oui, ça l'est. Malheureusement.
 Indy soupira de nouveau, plus longuement. Luttant contre la nausée, un sac 
	de glace sur le visage, il se demanda comment son enquête avait pu déboucher 
	aussi rapidement sur un tel désastre.
 *** Les formes de couleur s'étaient affinées, 
	et étaient devenues des silhouettes humaines. Les couleurs s'étaient 
	nuancées, mais tout restait flou, l'empêchant de voir réellement. Elle eut 
	néanmoins conscience d'être quelqu'un, et d'être quelque part. Mais elle 
	n'arrivait pas à ressentir des émotions, bien qu'elle se souvienne de la 
	signification du mot. Elle regardait le spectacle de façon détachée. Tout se 
	remit à tournoyer devant ses yeux, et elle repartit dans le noir. *** Indiana termina sa valise et rejoignit le 
	grand hall. Il portait un pansement sur le front et quelques contusions plus 
	ou moins visibles mais globalement, il se sortait plutôt bien de son 
	affrontement avec Alex.- Je vous laisse en charge des travaux, fit Indy à Winston qui approchait.
 - Bien sûr, docteur Jones. Le manoir sera vite reconstruit.
 - Tant mieux. Je dois essayer d'empêcher Banks d'atteindre son but. Même 
	tout seul, il le faut.
 - Je comprends. J'espère que monsieur West ne fera rien de définitif.
 - Hélas, je suis bien obligé de composer avec. Bon courage, Winston. Je 
	reviendrais dès que je peux.
 Il sortit du manoir, mais Winston le rattrapa.
 - Docteur Jones ?
 - Oui ?
 - Ramenez Lara, je vous prie.
 Indy se retourna : les yeux du vieux majordome étaient humides. Bien que 
	toujours flegmatique, il laissa paraître ses émotions. Indy en fut touché.
 - Je vous le promets, Winston.
 Il monta dans le taxi qu'il avait appelé et le fit partir.
 Il repensa à toute l'affaire durant le trajet jusqu'à Londres. Six livres 
	volés en même temps, un milliardaire australien, une opération commando... Son 
	père kidnappé, Alex envolé, et Lara... probablement morte. Indy avait souvent 
	été seul dans ses aventures, seul à affronter les pires choses et les pires 
	êtres. Mais jamais il ne s'était senti si désemparé, si peu sûr de lui. 
	Bercé par le mouvement du taxi, seul à l'arrière du véhicule, il se mit à 
	pleurer.
 *** Les sons qu'elle entendait étaient des 
	paroles, mais qui restaient inaudibles. Les mots étaient déformés, presque 
	caoutchouteux. La lumière blanche n'était plus aveuglante et les formes de 
	couleur avaient continué à s'affiner. Maintenant, elle distinguait un visage 
	devant elle à intervalles réguliers. Elle ne ressentait toujours aucune 
	émotion particulière. Le visage revint devant elle et sembla danser. Les 
	paroles qu'elle entendait devenaient de plus en plus claires, et elle finit 
	enfin par les comprendre.- Vous m'entendez ? Répondez-moi. Etes-vous avec moi ? Vous me voyez ?
 Elle comprenait enfin les paroles, mais ne ressentait toujours aucune 
	émotion. Aurait-elle dû ressentir de la joie à entendre des paroles ? 
	Soudain, tout devint clair autour d'elle : la lumière blanche devint un 
	plafond, les formes de couleur devinrent un baxter, un bouquet et le visage 
	d'une femme mûre. Elle ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit : sa 
	gorge semblait être collée. La femme la regarda d'un oeil attendrissant.
 - Enfin vous vous réveillez, fit-elle et sa voix avait encore un côté sourd, 
	lointain. N'essayez pas de parler, c'est encore trop tôt...
 Elle prit une chaise et la plaça à côté du lit.
 - Vous êtes dans une clinique privée à Sydney, en Australie, 
	commença-t-elle. Vous avez été atteinte par une balle d'un gros calibre, en 
	pleine poitrine. Par miracle, ça ne vous a pas tué, mais voilà plus de deux 
	semaines que vous êtes dans le coma. Je connais votre nom, mais la procédure 
	veut que je vérifie que vous, vous le connaissiez aussi. Ceci pour déceler 
	des éventuelles lésions au cerveau. Je vais donc dérouler l'alphabet. 
	Clignez des yeux à chaque fois que j'arrive à une lettre de votre nom et 
	prénom. Allons-y : A... B... C... C ? Bien. A... B...
 La femme procéda ainsi pour toutes les lettres nécessaires. A la fin, elle 
	obtint un nom et un prénom.
 - Vous êtes donc Lara Croft ? demanda-t-elle.
 Lara acquiesça lentement. La femme parut satisfaite.
 - Je m'appelle Nancy, et je suis infirmière. C'est moi qui m'occupe de vous 
	depuis le début.
 L'infirmière lui toucha le front, puis lui caressa les cheveux en souriant. 
	Puis elle se leva.
 - Je vais vous chercher un verre d'eau, ainsi que le chirurgien. Il vous 
	expliquera tout ça comme il faut.
 Après son départ, Lara regarda autour d'elle, bougeant lentement la tête. 
	Elle se trouvait bien dans une chambre d'hôpital. Elle était couchée sur un 
	lit qui était encadré par deux tables de nuit. Un superbe bouquet de fleurs 
	se trouvait sur l'un d'eux. Elle portait un bas de pyjama mais rien 
	au-dessus, hormis un impressionnant bandage enserrant sa poitrine. Elle 
	avait une perfusion à son poignet, reliée à un baxter qui lui injectait, 
	goutte à goutte, un anti-douleur quelconque. Ce qui expliquait son manque de 
	sensations. Elle tenta d'avaler sa salive et y parvint péniblement. 
	Heureusement, l'infirmière revint avec un verre d'eau qui lui fit l'effet du 
	meilleur des médicaments.
 - Vous pouvez essayer de parler, Lara ? proposa l'infirmière.
 - Oui.
 La voix était bizarre, très rauque et peu assurée. Mais Lara se sentit 
	revivre.
 - Parfait ! fit Nancy. Je vous présente le docteur Livingstone.
 Elle céda le pas à un homme d'une cinquantaine d'années, en blouse blanche.
 - Aucun rapport avec l'autre ? demanda Lara d'une voix faible.
 - Non, répondit-il en souriant.
 Il prit la main droite de Lara entre les siennes en souriant.
 - Je suis ravi de vous voir sortie d'affaire. Sortir d'un long coma avec si 
	peu de séquelles, c'est un miracle.
 - Merci, docteur, mais... si peu ?
 Le sourire s'effaça au profit d'un air sérieux.
 - On vous a tiré en pleine poitrine, quasiment à bout portant, 
	expliqua-t-il. La balle vous a traversé de part en part, sans perforer vos 
	poumons.
 - Formidable. Mais ?
 - Mais elle a touché votre moelle épinière.
 Lara frissonna. Les mots « moelle épinière » faisaient partie d'un 
	vocabulaire difficile en milieu hospitalier, car ils impliquaient un certain 
	nombre de choses que tout le monde connaissait. Elle bougea ses bras avec 
	succès, regarda ses jambes, puis reporta son attention sur le docteur. Ses 
	yeux posaient la question qu'elle n'avait pas la force d'exprimer oralement.
 - Je suis désolé, Lara, dit le docteur. Vous ne re-marcherez plus jamais.
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