| Chapitre 24S'il pleuvait énormément, le mois de 
	Juillet restait relativement normal sur les Etats-Unis. Après tout, Fenryr 
	concentrait son attaque sur l'Europe du nord, lieu originel de la mythologie 
	dont il était issu. Indy ne fut donc pas surpris de la température assez 
	douce qui régnait à New York quand il atterrit. L'éminent archéologue 
	n'avait pas le temps de faire un tour vers l'université, son vol pour Denver 
	décollant dans la foulée. Il traversa le terminal international pour 
	rejoindre les vols réguliers intérieurs. Passer d'un long courrier à un vol 
	intérieur était l'une des choses les plus déprimantes qu'Indy connaissait : 
	l'avion dans lequel il prit place n'était pas récent, et c'était un 
	euphémisme. Les sièges étaient élimés, sales et inconfortables, d'autant 
	qu'Indy se trouva rapidement coincé entre un footballeur et une femme 
	énorme. Mais peu lui importait : le vol ne durait que deux heures.Il arriva néanmoins courbaturé et de mauvaise humeur à Denver, capitale du 
	Colorado. D'abord par son interminable voyage depuis Londres, conclu par 
	deux heures très désagréables, mais surtout par l'impossibilité de la tâche 
	qui l'attendait : trouver une pépite d'or de vingt kilos dans les Rocheuses. 
	En s'engouffrant dans un taxi, Indy mesura d'autant mieux le problème : même 
	si cette pépite n'était apparu dans le Colorado que depuis l'intervention de 
	Thor et de Loki, il n'avait qu'une faible chance de la trouver avant un vrai 
	chercheur d'or. Si ce n'était déjà fait ! Le taxi le déposa devant un bon 
	hôtel, où il prit une chambre. Une douche bouillante, une sieste de quelques 
	heures et sa tenue favorite d'aventurier lui firent voir le périple sous un 
	jour plus optimiste. Il vissa son Stetson sur sa tête, enfila sa veste de 
	cuir élimé et sortit de l'hôtel. Direction les hauteurs.
 Un bus l'amena au sommet d'un col, point de départ de plusieurs randonnées. 
	Indy s'engouffra dans le motel qui se trouvait là et fonça vers le bar. 
	Ignorant les tables, il s'installa au comptoir et commanda un double whisky 
	ainsi qu'une carte de la région. Il obtint les deux en quelques minutes, et 
	se mit aussitôt à étudier le plan. Indy ignorait ce qu'il espérait trouver 
	parmi cet amas de couleurs, mais son esprit travaillait, et c'était 
	l'essentiel. De longues minutes passèrent, qui se transformèrent en heures, 
	à tel point qu'Indy avait rejoint une table et avait commandé la bouteille 
	entière. Malgré sa concentration, l'alcool et le temps qui passait, rien ne 
	sortait de l'analyse de la carte. Absolument rien. Il finit par la repousser 
	en soupirant, trois heures après. Il se versa le dernier verre de sa 
	bouteille et regarda la salle principale tout en buvant. Et alors quelque 
	chose le heurta. Une chose tellement simple qu'elle en était banale : tous 
	les clients du bar étaient des hommes en bleu de travail.
 Pourtant le motel était uniquement touristique, puisque point de départ des 
	splendides randonnées dans les Rocheuses. Le lien avec Fenryr était loin 
	d'être évident, bien sûr, mais la curiosité d'Indy prit le dessus, poussée 
	par son intuition. Il retourna au bar et interpella le taulier.
 - Dites, c'est fréquent, ce genre de clients ? demanda-t-il.
 L'animosité de son interlocuteur se fit aussitôt ressentir : il détestait 
	visiblement les questions.
 - Je ne suis pas flic, soupira Indy. Juste un touriste étonné.
 - Nan, c'est pas fréquent, fit simplement le barman d'un ton sec.
 - Que se passe-t-il donc ?
 - C'est le chantier.
 - Le chantier ? Quel chantier ?
 - Ils creusent un bout de montagne. Etudes géologiques.
 L'homme était visiblement scandalisé par une telle entreprise, et ne s'en 
	cachait pas.
 - « Ils » ? Qui ça, « ils » ?
 - Des scientifiques. Financés par un gros groupe industriel.
 Indy étala aussitôt la carte sur le bar.
 - Vous pouvez me montrer où se trouve ce chantier.
 L'homme haussa les épaules.
 - Z'avez qu'à demander aux ouvriers ! Vous avez fini avec la carte ?
 Indy sentant qu'il ne tirerait plus rien du barman, il lui rendit la carte, 
	paya sa bouteille et sortit.
 *** Même à grande distance et au travers de 
	jumelles, Tête de Fouine était reconnaissable parmi des centaines de 
	personnes. Il semblait agité, gesticulant des ordres à des ouvriers, mais 
	aussi à des cols blancs. Il regardait fréquemment autour de lui, semblant 
	sursauter régulièrement. Indy posa les jumelles en soupirant : il ne faisait 
	aucun doute que Tête de Fouine le cherchait. De toute façon, la présence de 
	l'assistant de Lorsenn était la meilleure des preuves : la pépite se 
	trouvait dans les environs. Et Tête de Fouine la cherchait sans aucune 
	subtilité, en mettant en place un chantier et en retournant carrément la 
	montagne. Or, Indy savait son adversaire intelligent, et donc subtil. 
	Plusieurs hypothèses se mirent alors à le tourmenter. Il s'assit donc par 
	terre et se prit la tête dans les mains, oubliant pour l'instant la présence 
	proche de Tête de Fouine et de l'artefact.- C'est pas gagné... soupira-t-il.
 Ils savaient maintenant que Tête de Fouine continuait à travailler pour Loki, 
	malgré les apparences. Le Dieu scandinave s'en lavait les mains, bien au 
	chaud en Asgard, tout en supervisant les mouvements de son assistant. Son 
	but était maintenant clair pour Indy : tisser une nouvelle corde non pas 
	pour emprisonner Fenryr, mais pour le guider, comme un chien en laisse. Et 
	ainsi orchestrer la destruction du monde. C'était un premier point. Indy 
	sortit un calepin et un crayon et se mit à griffonner rapidement. Le but 
	était clair. Restait le déroulement de l'affaire.
 - Tête de Fouine s'est évertué à tenter de nous tuer, fit Indy, à voix 
	haute. Sans résultat, nous sommes toujours vivants. Ce qui est logique, 
	puisqu'il peut profiter de notre aide pour récupérer les artefacts. Ceci 
	dit, étant donné l'étendue de ses moyens, il pouvait les récupérer lui-même...
 En énonçant cette évidence, il regarda l'énorme chantier en contrebas.
 - Il a essayé de nous tuer pour nous faire marcher dans sa stratégie, à 
	savoir que l'on continue à croire que Loki était le gentil... Ou alors pour 
	tester notre capacité à faire face... Mais pourquoi nous laisser prendre les 
	artefacts ? Et pourquoi changer de politique maintenant ?
 Indy refit un compte rapide : ils possédaient trois artefacts. Il en 
	manquait donc trois, mais un était en passe d'être trouvé par Tête de 
	Fouine. Sans subtilité. Alors que Tête de Fouine était un adversaire subtil. 
	Bref, Indy tournait en rond. Pourquoi se mettre à chercher soi-même les 
	artefacts d'un seul coup, et pourquoi avec si peu de finesse ?
 - Pour deux choses, fit-il à voix haute, pour se répondre à lui-même. 
	D'abord pour m'attirer, ensuite pour m'aider.
 Son but était donc toujours le même, malgré les apparences : Tête de Fouine 
	voulait que ce soit l'équipe de Lara qui récupère tous les artefacts.
 - Mais pourquoi ? Pourquoi veux-tu que ce soit nous qui les récupérions...
 Indy se perdait en conjonctures. Pour une nouvelle - rare - fois dans sa 
	vie, il était complètement perdu. Il se leva, rassembla ses affaires et 
	descendit précautionneusement vers le chantier.
 *** Indy se retrouva rapidement derrière un 
	baraquement mobile, à l'abri des regards. Lors de son approche, il avait pu 
	dresser mentalement un plan du chantier. Il avait alors découvert l'entrée 
	d'une mine qui semblait faire l'objet de toutes les attentions, d'après les 
	incessants va-et-vients des ouvriers. Indy tentait de toujours connaître la 
	position de Tête de Fouine, afin de garder une distance suffisante pour ne 
	pas se faire repérer. Tout en étant convaincu que l'assistant de Lorsenn 
	était déjà au courant de sa présence. Il s'approcha de l'entrée de la mine, 
	toujours à couvert. Pratique née de l'expérience, bien qu'aucun garde armé 
	ne semblait monter la garde. Indy voyait là un nouvel indice prouvant qu'il 
	faisait ce que Tête de Fouine attendait de lui. Sentiment très désagréable 
	au demeurant.- Faut que j'arrête de me torturer l'esprit, marmonna-t-il. On verra ça 
	après. Action, puis réflexion. A la Lara Croft, en somme...
 Un ouvrier passa soudain près de lui, derrière les baraquements. Sans 
	hésiter, Indy bondit sur lui et l'assomma. L'homme poussa un cri avant de 
	s'écrouler, donnant instantanément l'alerte. Le brouhaha stoppa et les 
	ouvriers les plus proches commencèrent à courir vers l'origine du cri.
 - Eh ben... gémit Indy. On peut même plus assommer quelqu'un et prendre ses 
	habits tranquillement. C'est plus ce que c'était...
 Il laissa l'homme allongé par terre et courut vers l'entrée de la mine en 
	faisant un léger détour derrière les baraquements et les machines-outils. Il 
	sortit de sa cachette au dernier moment et s'engouffra dans la mine. Sans 
	attendre, il se jeta à l'abri derrière un chariot, suffisamment vite pour ne 
	pas attirer l'attention. Indy n'arrivait pas à s'ôter de l'esprit qu'il 
	aurait très bien pu entrer dans le camp devant tout le monde, prendre la 
	pépite et partir sans que personne ne l'en ait empêché. Encore ce sentiment 
	désagréable. De sa cachette, derrière le wagon, il attendit que sa vue 
	s'adaptât à la semi obscurité pour faire un rapide tour des lieux. Il 
	découvrit ce dont il se doutait : une longue galerie s'enfonçant dans la 
	montagne, des rails et des wagonnets. Bref, tout ce qu'il fallait pour faire 
	un « remake » de sa folle chevauchée parmi les Thugs dans le nord de l'Inde, 
	il y avait... Indy ne préféra pas compter : il quitta sa cachette au moment où 
	les ouvriers lui tournaient le dos et s'enfonça dans la mine.
 La ressemblance avec le rodéo dans les mines pakistanaises dans les années 
	trente s'arrêtait aux wagonnets. En effet, dans le cas présent, la mine 
	était de taille plus que modeste, et visiblement abandonnée depuis longtemps 
	avant l'arrivée de Tête de Fouine. Son équipe n'avait fait qu'optimiser les 
	structures existantes. Aussi Indy ne fut que peu étonné d'arriver bien vite 
	au fond de la mine, dans la caverne principale où les excavations avaient eu 
	lieu. Ce qui l'étonna beaucoup, par contre, c'est l'absence totale 
	d'ouvriers et, plus encore, la présence de la pépite d'or sur un socle, au 
	centre de la caverne. Un piège d'une telle évidence qu'il faisait injure à 
	son intelligence. Sauf si, bien entendu, ce n'était pas vraiment un piège... 
	Indy resta debout, immobile, à une bonne distance de l'artefact tant désiré. 
	Il réfléchissait : Tête de Fouine bossait pour Loki, et son intérêt était de 
	construire la corde. Mais l'assistant avait fait jusque-là de gros efforts 
	pour faire croire qu'il avait trahi le Dieu, en tentant d'empêcher la 
	construction de la corde. Et là, maintenant, alors que presque tous les 
	artefacts étaient trouvés, le Tendon de l'Ours lui était offert. Sur un 
	plateau. Comme si Tête de Fouine avait décidé de jouer franc-jeu. Ou comme 
	s'il cachait encore autre chose. Indy prit une profonde inspiration.
 - Vous pouvez venir, fit-il d'une voix forte. J'ai enfin compris...
 Un petit ricanement ironique lui répondit.
 - Je n'en doutais pas une seconde, docteur Jones. Mais vous avez mis un peu 
	de temps, néanmoins. Oh, rassurez-vous, rien de décevant.
 Tête de Fouine se plaça à côté d'Indy, face à l'artefact.
 - Belle pépite, n'est-ce pas ? renchérit-il. Tellement évidente à trouver. 
	Vous auriez sans doute dû commencer par là...
 - Vous avez tué un jeune homme innocent et torturé un vieil homme !
 Indy contenait sa colère, la mâchoire et les poings serrés. Tête de Fouine 
	se contenta de sourire.
 - Il fallait vous re-motiver, tous, fit-il. Je trouvais que vous vous 
	laissiez un peu aller, à ce moment-là. Apparemment, j'ai obtenu de vous une 
	plus grande détermination.
 - Vous avez tué un gosse ! hurla Indy.
 - On meurt tous un jour... Pourquoi ne me tuez-vous pas, docteur Jones ? Ici, 
	et maintenant ? Nous constatons tous les deux que vous êtes plus grand et 
	plus fort que moi... Non, ne répondez pas, je sais : vous tenez à laisser à 
	Lara Croft le soin de venger son jeune ami et son majordome. Un de vos amis 
	me l'a déjà expliqué, finit-il par dire en regardant sa main.
 Celle-ci n'était même pas bandée. Pas l'ombre d'une cicatrice. Comme si elle 
	avait repoussé. Indy se détendit soudain, relâchant la pression, mais garda 
	les yeux fixés sur la pépite d'or.
 - Depuis quand ? demanda-t-il soudain.
 - Quoi donc ?
 - Depuis quand travaillez-vous pour Fenryr ? Que vous a-t-il offert pour 
	trahir l'humanité ?
 Il se tourna vers son interlocuteur : Tête de Fouine était déstabilisé. Il 
	se reprit néanmoins très vite et sourit.
 - Vous venez de me surprendre, docteur Jones. Et c'est quelque chose de 
	rare, vous pouvez me croire. Mon respect et mon admiration pour vous 
	croissent chaque jour davantage.
 - Vous n'avez pas répondu.
 - C'est vrai.
 Le silence s'installa entre eux.
 - Vous avez travaillé à l'insu de Loki, reprit Indy. A l'insu d'un Dieu. 
	C'est très fort.
 - Fenryr est un Géant.
 - Certes.
 - Vous ne prenez pas l'artefact, docteur Jones ?
 Indy resta immobile, ce qui fit ricaner Tête de Fouine.
 - Difficile, n'est-ce pas ? En prenant cette pépite, vous jouez mon jeu. 
	Mais vous n'avez pas le choix, car la corde représente également votre 
	meilleur espoir de sauver le monde. Cruel dilemme !
 - Quel est votre intérêt ? Vous comptez promener un Géant en laisse ?
 Tête de Fouine renifla avec mépris.
 - Faites ce que vous voulez, docteur Jones. Mais de toute façon, je vous dis 
	à très bientôt.
 Il tourna les talons et remonta dans la galerie d'accès. Quelques minutes 
	plus tard, Indy était de nouveau totalement seul dans la mine, face à la 
	pépite d'or et à ses multiples interrogations. Face à ses doutes. Il ne 
	savait plus quoi faire, ni comment le faire. Il n'avait pas une vue 
	d'ensemble du problème, et ne pouvait ainsi pas appréhender correctement la 
	portée de chacune de ses actions. Tête de Fouine menait le jeu, et rien ne 
	pouvait changer ça. Pour l'instant, du moins. En soupirant, il s'approcha du 
	socle au centre de la caverne et ouvrit son sac.
 |