Chapitre 9
- Je vous emmerde, vieille croûtée! Faut
pas vous faire d'illusions : vos seuls amis sont les trésors pourris que vous
dégotés dans les tombeaux et les cryptes que vous saccagez! Vous fuyez la civilisation
comme un rat fuit un navire incendié! C'est d'ailleurs de cette attitude que
vous tirez votre profond manque de classe et votre tempérament chiant, Croft!
L'engueulade avait débutée alors que
nous discutions à propos des clés, pour la simple et bonne raison que j'avais fait
preuve de pessimisme et que cette chère Lara n'avait pas beaucoup apprécié. Le ton
fut d'abord au sarcasme, puis à l'engueulade pure et simple. Nous nous
levâmes, nous crachant des injures au visage. La discussion, à l'origine orientée
vers nos conflits interpersonnels, dévia finalement vers nos vies, nos hontes et nos
échecs : le meilleur terrain d'approche afin de briser quelqu'un
moralement. Puis, alors qu'une réplique fracassante de ma part fit taire Lara,
j'en profitai pour en rajouter encore et encore.
Alec tentait tant bien que mal de nous
séparer, de mettre un terme aux hostilités, mais il était bien conscient qu'il
n'avait aucune chance d'arriver à ses fins. Après quelques minutes, il troqua
donc son envie de faire cesser la bagarre pour porter davantage d'attention à ses
biens personnels, qui volaient un peu partout sur mon passage ou sur celui de Lara.
- C'est quoi votre problème, Miss?
Vous avez une aversion profonde envers les critiques anglais? Sachez-le, vous n'êtes
pas la première à ressentir ce genre de sentiments. Et vous savez ce que je leur ai fait
à ces truands qui ont osé me rendre méchant? Vous voulez le savoir?
La réponse fut traduite par le lancer
rageur d'une tasse en terre cuite dans ma direction. J'évitai le projectile de
justesse, et il alla s'écraser dans les flots. Alec entrouvrit la bouche afin de
protester, mais Lara lui cloua le bec d'un regard assassin.
- Je leur ai fait regretter! Ça oui!
J'ai des contacts, j'ai du pouvoir. Certains ont perdu leur emploi,
d'autres sont devenus fous de culpabilité... Mais vous... Je n'ai pas
vraiment d'emprise sur vous. Vous êtes l'indépendance même, Croft. Et je
déteste ne pas avoir de pouvoir sur quelque chose, vous comprenez? Alors en plus de cet
aspect qui me met en rogne, n'en rajoutez pas avec vos putains de commentaires
déplacés et d'insultes à la con!
Hurlant cela, je m'approchai
d'elle, gesticulant de rage. C'en était trop pour moi. Et c'en fut trop
pour elle. Elle dégaina un pistolet, avança à ma rencontre et vint enfoncer le canon de
l'arme entre mes deux clavicules. Je stoppai. L'écho de ma voix résonna
quelques instants dans l'air matinal, accompagné les cris stridents de quelques
oiseaux s'envolant en hâte, puis s'estompa tranquillement. Je déglutis,
plantant mon regard fiévreux dans celui de Lara.
Alejandro s'était réfugié derrière
une caisse de nourriture et observait la scène sans souffler un mot.
- Un mois et des poussières que nous sommes
ensemble, Orth, à nous balader dans la jungle brésilienne... Ce jour peut-il être
considéré comme étant le zénith de nos aventures, ou alors la finale?
Elle avait lentement parlé d'un ton
froid, qui ne trahissait ni frustration, ni colère, ni emportement. Juste une haine
incalculable. Elle attendait une réponse de ma part. Celle-ci ne semblant pas venir, elle
releva son pistolet et l'enfonça davantage sous mon menton. Je relevai la tête afin
de soulager un peu la douleur, mais continuai néanmoins à la fixer.
- Vous assassineriez Sir Orth, Croft? Vous
seriez pourchassée, et-
La détonation résonna en un claquement
sec, me coupant violemment. Une centaine d'oiseaux s'envolèrent dans un vacarme
assourdissant, fuyant les lieux du drame. Le silence retomba. J'entrouvris la bouche,
incapable d'émettre un son. Un filet de sang s'échappa du coin de mes lèvres,
et un violent goût de fer envahit mes perceptions. J'observai Lara d'un regard
triste, tandis qu'elle rabaissait son arme, tremblante, me dévisageant, effarée.
Une angoisse pure se reflétait dans ses traits. Elle secoua la tête, le front voilé de
terreur, et dit quelque chose que je ne fus pas en mesure d'entendre.
Je perçus un néanmoins cri étouffé,
celui d'Alec, incapable de concevoir ce qu'il venait d'arriver. Lara
recula, bouche bée. Alec sembla se mettre à l'injurier, tandis qu'elle
continuait à secouer la tête, impuissante. Je titubai momentanément, portant une main
à ma gorge. Je sentis un liquide chaud sur mes doigts, mais n'eu pas la force
d'observer ce que c'était. Mes paupières se refermèrent sensiblement. Je
m'écrasai sur mes genoux, posant une main sur le radeau. Je m'écroulai ensuite
sur le flanc. Ma vision diminua, tout comme le reste de mes perceptions. Seule la douleur
resta, monopolisant mes songes. Puis un voile sombre s'abattit sur moi.
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